Chiens de protection : le paradoxe français


Les chiens de protection ont fait leur retour en France il y a trente ans pour contrer les attaques de chiens divagants sur troupeaux ovins. Dix ans plus tard ils ont repris du service en montagne avec l’arrivée des premiers loups italiens dans les Alpes du sud.
 
L’utilisation de chiens de protection était tombée en désuétude au début du siècle dernier avec la disparition des grands prédateurs. Leur retour a démarré sur de très mauvaises bases. Tout d’abord ce dossier a été confié à des spécialistes des chiens de conduite. Or il n’y a pas plus opposé en terme de comportement que chiens de conduite et chiens de protection. Ensuite c’est une méthode importée des USA qui a été généralisée à toutes les situations. Cette méthode considère le chien comme un outil devant vivre en permanence au milieu d’un troupeau afin d’assurer sa protection. Sur ce principe les chiots sont placés seuls à un âge extrêmement jeune en bergerie dans le but de favoriser leur attachement au troupeau. Ils n’ont qu’un minimum de contacts avec le berger et aucun contact avec d’autres chiens pendant cet apprentissage.
 
Malheureusement cette méthode ne tient aucun compte des besoins fondamentaux du chiot (sécurité, jeu, apprentissage) ignore totalement les relations entre le berger et ses chiens, de même que toutes les subtilités du comportement des chiens de protection.
 
Le chiot se construit sur la peur et non pas sur l’assurance comme c’est le cas lorsque les jeunes vivent au sein d’une meute de chiens, à l’égal de ce qui se fait chez le loup.
 
L’utilisation de cette méthode simpliste est à l’origine de nombreuses déceptions, souvent fatales pour les chiens. Des mythes et légendes ont ainsi été colportés de publication en publication entraînant chez les bergers des attentes totalement irréalistes. Par ailleurs il faut souligner que dans toute son histoire le chien de protection n’a jamais travaillé seul. Il n’est pas le remplaçant du berger mais son auxiliaire.
 
Les agriculteurs vivent quotidiennement avec leur troupeau, leurs chiens et des prédateurs qui leur rendent la vie très difficile. La présence de chiens de protection provoque de nombreuses altercations avec les autres usagers de la Nature. Ceci accroît considérablement le stress et la pression qui pèsent déjà sur les bergers. La gestion des chiens entraîne aussi un surcroît de travail.
 
Souvent on n’utilise pas les bons types de chien et de la bonne façon. Souvent les chiens ne sont pas assez nombreux pour effectuer correctement leur travail de protection d’où des échecs attribués à tort à leur manque d’efficacité.
 
Dans ce contexte très tendu, l’activité pastorale doit être protégée par la loi sous peine de disparaître. En effet les conditions dans lesquelles elle s’exerce deviennent insupportables pour les éleveurs, sans oublier la pression et la répression de l’administration qui augmentent chaque année conduisant à un profond découragement.
 
 
Les races de chiens de protection
 

Le chien de Montagne des Pyrénées ou « patou » est un chien de protection français sélectionné pour défendre les troupeaux contre les attaques de l’ours et du loup. Dans les Montagne des Pyrénées actuels persiste toujours l’aptitude au travail liée à cette sélection pastorale très ancienne. Il y a 30 ans le patou s’est donc imposé comme le protecteur de nos troupeaux.
 
Les Montagne des Pyrénées ont été sélectionnés pour être dissuasifs et non pas agressifs. Le chien s’interpose naturellement entre l’élément étranger et le troupeau. Il est extrêmement rare qu’il y ait confrontation directe avec les prédateurs. Néanmoins dans les zones où sont établies des meutes de loups, le prédateur a mis en place des stratégies de contournement voire d’élimination physique des chiens.
 
Mais le patou, les bergers n’en veulent plus : trop aboyeur et pas assez vindicatif face au loup. Ils sont nombreux à se tourner vers d’autres races de chiens de protection. Et il en existe plus de 30 dans le monde. La faute à une absence totale de sélection pour le travail et aucun programme de recherche sur les chiens de protection en France. Ainsi les bergers d’Anatolie (Kangal), les bergers du Caucase, les Mâtins espagnols et d’autres encore colonisent nos troupeaux. Reste que de sélection organisée il n’y a point, et ce quelles que soit les races concernées. Ce vide technique constitue un réel handicap à la diffusion et à l’efficacité des chiens de protection.
 
 
Le comportement des chiens de protection
 
Les chiens de protection ne se dressent pas. Ils connaissent leur rôle d’instinct et savent travailler en équipe avec leurs congénères. Ils doivent cependant recevoir une éducation de base et être correctement socialisés dans leur jeune âge afin d’être facilement manipulables. Cela est particulièrement important lorsqu’ils se retrouveront plus tard confrontés à des promeneurs. L’élevage en meute est un plus indéniable.
 
Ces chiens sont intelligents et indépendants de caractère. Ils préviennent le berger de l’approche d’un danger potentiel. Ainsi berger et chiens travaillent ensemble à la protection du troupeau.
 
Le rôle des chiens de protection ne se borne pas à une action directe contre les prédateurs. Lorsque qu’une meute de chiens marque un territoire avec ses urines et ses excréments elle occupe de fait la niche écologique des canidés. De cette façon les chiens limitent l’approche des loups.
 
Mais le chien de protection apporte bien plus que de la simple protection au berger et à son troupeau, il participe à une véritable symbiose. Les différentes races de chiens de protection présentent des particularités en terme de réactivité, d’aptitude et de comportement. Pour pallier au manque de sélection de nos chiens, il serait pertinent d’associer plusieurs races au sein d’une meute afin d’optimiser la protection des troupeaux dans les zones à forte pression de prédateurs.
 
 
Le comportement des promeneurs
 
Lors de rencontres avec des chiens de protection il faut s’arrêter et les laisser approcher pour qu’ils vous identifient comme un « non danger » pour leur troupeau. Ensuite il suffit de s’éloigner calmement sans les menacer. Il faut éviter de se promener avec son chien lorsque l’on est dans une zone pastorale et au minimum le tenir en laisse. Pour les adeptes du jogging et du VTT, il faut marcher à pied le temps de dépasser le troupeau. En effet les chiens de protection établissent un périmètre de sécurité autour de leur troupeau dont la frontière reste invisible aux néophytes. C’est l’entrée dans ce périmètre qui déclenche leur légitime intervention.
 
Lors d’une confrontation le promeneur peut également avoir recours aux signaux d’apaisement que les chiens utilisent entre eux. Bailler, cligner des yeux, détourner la tête voire carrément tourner le dos sont autant de signaux de non agression que les chiens comprennent très bien.
 
Il est primordial que promeneurs et touristes respectent le travail des bergers et la tranquillité des troupeaux afin de ne pas créer encore plus de situations conflictuelles. En la matière l’information concernant les bonnes attitudes à adopter en milieu pastoral devrait être beaucoup plus largement diffusée par les services de l’état.
 
 
Quelles mesures mettre en place pour une meilleure protection des troupeaux et des loups ?
 
Créer une filière de production de chiots
 
L’état finance des chiens sans tenir compte de leur origine génétique. Issus d’une sélection millénaire les chiens de protection portent dans leur patrimoine génétique toutes les aptitudes nécessaires au travail. Il faudrait distinguer, d’une part des naisseurs de chiots de race pure, et d’autre part des utilisateurs. Les naisseurs sont garants d’une sélection maîtrisée sur le plan du comportement, de la morphologie et de la santé. Les utilisateurs pour leur part ont besoin de chiens fiables, en bonne santé, faciles à intégrer au troupeau et efficaces contre les prédateurs. L’absence d’une filière organisée pour la production et le suivi des chiens pénalise à la fois leur acceptation, leur utilisation et leur efficacité.
 
Mettre en place des schémas d’amélioration génétique
 
C’est la sélection par la fonctionnalité qui a construit les chiens de protection tels qu’ils sont encore de nos jours. Ignorer cette réalité ne peut que conduire à la destruction de ce patrimoine canin issu d’une sélection millénaire.
 
Par exemple, chez le Montagne des Pyrénées la grille de sélection devrait intégrer : la fréquence de l’aboiement, la qualité de la fourrure, la qualité de la dentition et l’aptitude au travail, sans oublier la fonction de reproduction souvent négligée mais pourtant nécessaire au renouvellement de la population.
 
Proposer des formations aux bergers et aux étudiants
 
La formation des bergers à l’utilisation des chiens de protection est indispensable. Le meilleur des chiots peut être irrémédiablement gâché par un mauvais maître. Dans la filière de l’enseignement agricole il serait aussi utile de dispenser des formations sur l’élevage et l’utilisation des chiens de protection.
 

 
Le coût d’un chien de protection
 
A l’achat, un chiot de trois mois inscrit au LOF est proposé entre 800 et 1300 € selon la race. A cela il faut ajouter sa nourriture et les soins vétérinaires (vaccins, vermifuges, antiparasitaires) soit chaque année environ 800 €.
 
Malheureusement les aides de l’Etat sont loin de couvrir l’achat de tels chiens. Une aide de 375 € n’incite pas les bergers à se procurer des chiens de race pure. La plupart du temps ils font l’acquisition de chiens tout venant et sans origine dont les réactions sont imprévisibles. Le coût des chiens de race est à relier au long travail de sélection réalisé par les éleveurs. Dans ce cadre les réactions et l’efficacité des chiens sont tout à fait prévisibles. La socialisation réalisée par le naisseur est aussi primordiale pour l’équilibre des futurs chiens de même que l’accompagnement du berger pendant les premiers mois suivant la mise en place.
 
Tant que le chien de protection restera un sous produit de l’élevage ovin, à faible valeur voire sans valeur, son utilisation restera problématique. Produire un chien de travail demande un investissement financier et des compétences. Cela a un coût certain. L’état devrait soutenir la production de chiots chez des naisseurs qualifiés comme cela se fait par exemple en Suisse.
 
 
Conclusion
 
Il a été démontré dans de nombreux pays que le chien de protection est le moyen le plus efficace de protéger les troupeaux contre le loup. Pourtant en France, la recherche, les publications et la connaissance relatives au chien de protection sont quasi inexistantes.
 
Pour l’éleveur le chien c’est une tranquillité d’esprit par rapport à la prédation. Il faut du temps pour qu’il se familiarise avec le travail des chiens et du temps pour que les chiens acquièrent de l’expérience. Avec le temps l’efficacité de l’entité « troupeau - berger - chiens » s’améliore. L’utilisation de la trilogie « chiens - bergers - enclos de nuit » est très fonctionnelle mais il est illusoire de croire que la cohabitation avec le loup est harmonieuse.
 
Malgré leur indiscutable efficacité les chiens de protection sont source de nombreux tracas pour les bergers et compliquent énormément leur quotidien.
 
Pour pacifier la question du loup, le budget de l’état devrait être rééquilibré vers plus de prévention et moins d’indemnisations, donc une meilleure utilisation des chiens de protection.
 
L’information envers le grand public est primordiale pour limiter les conflits avec le pastoralisme.
 
En définitive en France, le chien de protection est toujours traité par défaut. Pas de recherche, pas de sélection, pas de filière, pas de véritables spécialistes, peu de communication … alors qu’il est de loin le moyen le plus efficace de protéger les troupeaux mais aussi le retour des grands prédateurs.
 
Voilà tout le paradoxe français.

© Mathieu Mauriès 2013


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