Elevage canin : Sélection ? Vous avez dit sélection ?


Depuis plus de 15 ans je suis, à ma connaissance, le seul éleveur en France à développer un programme de recherche et de sélection spécifique aux chiens de protection en race Montagne des Pyrénées, Berger d’Anatolie et Mâtin Espagnol. La sélection devrait être une démarche collective impliquant le plus grand nombre d’éleveurs possible. Malheureusement rien n’a jamais été réalisé en ce sens au niveau national. Ma sélection est basée sur la fonctionnalité et la rusticité des chiens car les bergers ont besoin de chiens sains, fiables et efficaces. Je n’ai rien inventé, c’est la sélection qui a toujours existé dans les races pastorales. A ceci prés que les chiens de protection doivent travailler dans des conditions acceptables, c’est-à-dire en meute, pour tenir les prédateurs à distance, éduquer leurs jeunes dans la sécurité et assurer leur propre protection. En aucun cas le rôle des chiens de protection n’est de tuer le prédateur, même si cela peut arriver de façon occasionnelle. Depuis des millénaires les bergers travaillent avec des chiens de protection. En comparaison le chien de conduite est une invention très récente.

 
QUELLE SELECTION POUR LES CHIENS DE PROTECTION ?

Les critères sur lesquels je sélectionne mes chiens et particulièrement mes reproducteurs sont:

  • le gabarit [il faut être imposant face à un loup, l’intimidation est le nerf de la guerre],
  • la qualité de la fourrure [l’entretien de la fourrure ne doit nécessiter aucune intervention du berger, même pendant la mue, et le poil et le sous poil doivent protéger efficacement des intempéries « Weather proof » comme disent les américains],
  • la dentition [en cas d’attaque il faut avoir de bonnes dents pour se défendre, il suffit de regarder la mâchoire d’un loup pour s’en persuader],
  • le contrôle de l’aboiement [il faut aboyer uniquement lorsque cela est nécessaire, afin de décourager le prédateur d’approcher et d’avertir son berger, les chiens qui aboient en permanence rendent la vie insupportable],
  • la prolificité [le nombre de chiots nés par portée. Important car la reproduction est la première fonction touchée quand une race dégénère]
  • et les qualités maternelles évaluées à travers le taux de survie des chiots [le nombre de chiots vivants à 3 mois par rapport au nombre de chiots nés, ceci incluant les qualités laitières de la mère et son comportement vis-à-vis des chiots].


J’utilise un autre critère, indispensable mais plus difficile à quantifier, qui est l’efficacité au travail. Ce dernier critère est évalué directement et qualitativement par le berger sur des chiens de plus de 2 ans (MAURIES M., 2013. Pour un programme de sélection et d’amélioration génétique du Chien de Montagne des Pyrénées.).

Pour autant dans une démarche de sélection rigoureuse il faut avancer pas à pas. Ainsi dans un accouplement déterminé il faut choisir un seul critère à améliorer en espérant ne pas dégrader les autres caractéristiques souhaitables des chiots à venir. Il est illusoire de vouloir améliorer simultanément plusieurs critères. La sélection est un travail de longue haleine. Avant de sortir le chien de ses rêves dans une lignée reproductible (une lignée dont l’apparence et le comportement des chiots sont hautement prévisibles) il faut bien compter une vingtaine d’années. La sélection n’est pas faite pour les gens pressés, c’est l’œuvre d’une vie.

La notion de « race » telle qu’elle est connue de nos jours reste très récente, à peine plus d’une centaine d’années. La standardisation qui en découle fige les populations dans des types précis et va à l’encontre de leur variabilité génétique. Cette standardisation rigide constitue sur ce plan-là un handicap pour toute évolution ultérieure d’une population animale. Elle conduit aussi à un appauvrissement génétique en favorisant l’homozygotie via une consanguinité galopante.

En effet dans l’espèce canine les taux de consanguinité ne sont calculés au mieux que sur 4 ou 5 générations alors que le calcul devrait être réalisé sur 20 générations pour connaître le véritable taux de consanguinité d’un individu donné. La tromperie est générale et institutionnalisée. Dans le même temps le nombre de tests recherchant des anomalies génétiques dans les races canines ne cesse de grimper démontrant de façon évidente les ravages de la consanguinité. Voir à ce sujet l’article très intéressant de Grégoire Leroy « Genetic diversity, inbreeding and breeding practices in dogs: results from pedigree analyses » qui aboutit à la conclusion que chez les chiens de race, il faut limiter le nombre de chiots nés du même père fut-il un grand champion d’exposition.

La sélection ne peut se faire que sur des critères qui ont une réalité biologique puisque l’on reproduit des êtres vivants. Les expositions canines telles qu’elles sont pratiquées de nos jours, avec une évaluation plus que rapide sur des postures, ne sont en aucun cas des outils de sélection. Il n’y a aucune démarche scientifique derrière ce type de jugements … Pire, à voir les juges « modernes » être soi disant capables de juger des dizaines et des dizaines de races sans même jeter un coup d’œil à un standard, il y a vraiment de quoi se poser des questions sur la pertinence et la valeur de la démarche. Un statisticien n’aurait aucun mal à démontrer de façon scientifique l’absurdité de ces évaluations.

Les programmes de sélection concernant les chiens de travail doivent être basés sur des données mesurables tant sur le plan de la morphologie, que sur des critères liés à la reproduction et au comportement.

Il est à ce sujet très important de comprendre qu’un schéma d’amélioration génétique adapté au travail n’est en rien incompatible avec le fait que des chiots partent à la compagnie. Des chiens sains et équilibrés peuvent protéger des troupeaux ou être d’excellents compagnons de route si leurs besoins vitaux sont respectés.

 
LE CROISEMENT ENTRE RACES PURES : HERESIE OU PAS HERESIE ?

Le concept moderne de race conduit à de nombreuses impasses sur le plan biologique lorsque la standardisation est poussée à outrance. Il serait plus pertinent de parler de populations animales spécifiques à un milieu. Tous les bergers ne vivent pas dans les mêmes contextes, il est donc intéressant de pouvoir proposer différentes solutions et différents types de chiens pour répondre à leurs besoins de protection. Paradoxalement l’étude des croisements permet de mieux connaître les caractéristiques intrinsèques des races pures parentales.

Je teste des combinaisons de races pour une première raison qui est de faire ressortir et identifier les caractéristiques des races pures qui sont nettement visibles sur les chiots croisés. C’est une démarche de recherche. Par exemple l’infusion de sang Montagne des Pyrénées dans le Kangal adoucit ainsi fortement le caractère tout en donnant une morphologie très proche de celle du Kangal qui marque beaucoup physiquement sur sa descendance.

En sélection canine les infusions de sang ne sont pas si rares. Qui se souvient que le Montagne des Pyrénées a été utilisé chez le Saint Bernard ou encore chez le Terre Neuve lui-même utilisé dans le Bouvier Bernois ? Idéaliser la « pureté » de la race est un concept anti-biologique et une absurdité totale. Pour autant il faut préserver autant que peut se faire nos races primitives telles que les Chiens de Montagne des Pyrénées.

Les croisements permettent de revitaliser une race ou de l’améliorer sur des points précis. C’est le cas lorsque j’introduis du sang de Montagne des Pyrénées et de Kangal dans mon « pool génétique » Mâtin Espagnol. Mon objectif est de donner plus de hauteur et un peu moins de lourdeur aux descendants tout en conservant le caractère placide du Mâtin qui est un véritable atout dans certaines situations de travail. A cette fin j’ai « fabriqué » des femelles F1 (croisement de première génération entre 2 races pures) qui seront ultérieurement accouplées avec des mâles Mâtin Espagnol de même que tous leurs descendants. Dans cette stratégie de sélection seules les femelles F1 sont conservées pour la reproduction, les mâles croisés ne sont destinés qu’au travail de protection et ne devraient pas reproduire. Cette infusion de sang étranger ne se fait que sur une seule génération et ne sera pas renouvelée. Depuis des années je constate que mes chiennes en chaleur, si elles en ont la possibilité, recherchent systématiquement à s’accoupler avec un mâle d’une autre race. C’est un peu comme si elles connaissaient déjà tout l’intérêt d’accroître la variabilité génétique dans leur population. Et peut-être le connaissent-elles !

Dans la même veine la consanguinité peut être volontairement utilisée pour tester la vitalité d’une lignée. Si les produits d’un accouplement consanguin entre 2 générations sont sains la probabilité que la lignée soit saine sera élevée. Le risque de voir surgir une tare génétique est alors faible. La consanguinité est également utilisée de façon plus classique pour renforcer les caractéristiques d’une lignée en augmentant le taux de gènes homozygotes. C’est une approche que je pratique sur des chiens dont les antécédents sont sains et les qualités de travail éprouvées.

Néanmoins la génétique ne fait pas tout. L’Art de l’éleveur est nécessaire pour exprimer pleinement le potentiel génétique à travers des pratiques d’élevage éclairées. Par exemple le chien de protection « idéal » est dans ma méthode d’élevage actuelle (toujours susceptible d’évoluer en fonction de mes nouvelles recherches et observations) :

  • Un chiot né et élevé dans une meute de chiens, composée au minimum de son père et de sa mère;
  • Un chiot manipulé régulièrement par son naisseur;
  • Un environnement stimulant et des contacts avec des animaux de différentes espèces ;
  • Des chiots qui bénéficient pendant au moins trois mois de l’encadrement et de la formation donnés par les adultes de la meute.


De plus tout placement de chiot dans un troupeau doit être précédé d’une enquête auprès de l’éleveur afin de vérifier que les conditions de succès sont bien remplies. Rien ne sert de placer un chien dans une situation où il sera inévitablement mis en échec.

 
CONCLUSION

La démarche de sélection que j’ai mise en route dans mon élevage depuis 15 ans peut s’appliquer quelle que soit la race de chien en l’adaptant bien sûr aux particularités de chacune. C’est ainsi que chez mes Bouledogue français je sélectionne des chiens de gabarit élancé, avec du nez et capables de se reproduire naturellement aussi bien à la saillie qu’à la mise bas.

C’est la fonction originelle du chien qui doit définir le programme de sélection. Pourtant l’histoire nous enseigne qu’à terme ... dans 200 ou 300 ans ... si les humains n'ont pas fait péter la planète avec cette folie destructrice qui les caractérise si bien, une nouvelle race de chien de protection spécifique aux Alpes françaises se sera créée en combinant les différents génotypes que l'on trouve actuellement dans les troupeaux (Montagne des Pyrénées, Maremmes Abruzzes, Kangal, Estrela, Berger du Caucase, Mâtin Espagnol, Tatras …). C'est de la sélection pastorale de terrain et cela a toujours fonctionné de la sorte. Au bout du compte les meilleurs gènes s'assemblent pour donner un chien parfaitement adapté à sa fonction et à son environnement. C'est ce processus qui a donné les races actuelles que nous connaissons. La Vie est en cesse en mouvement. En attendant sachons conserver ces bons gènes chez nos chiens « de race » car il est vital de préserver ce réservoir génétique pour les générations futures. Le monde que nous connaissons vit ses derniers instants et c’est tant mieux.


 © Mathieu Mauriès 2015


Pour télécharger l'article