Elever et sélectionner des chiens pour la protection des troupeaux : mythes, légendes et réalités
Résumé
En France depuis 20 ans la prédation du loup sur les troupeaux ne cesse d’augmenter malgré la présence de chiens de protection. Ce constat d’échec généralisé confirme 20 ans d’incohérence dans la gestion du dossier « chiens de protection ». Il s’explique par une totale méconnaissance de ces chiens et de leur mode de travail. Rien n’a jamais été fait pour que les chiens de protection soient correctement utilisés dans notre pays. Il n’y a pas de recherche, pas de formation pertinente, aucune sélection sur les chiens et pas de filière de production. Pourtant les chiens sont reconnus depuis longtemps comme le meilleur moyen de protéger les troupeaux et les prédateurs eux-mêmes. Pour pacifier la question du loup, le budget de l’Etat devrait être rééquilibré vers plus de prévention et moins d’indemnisations, donc une meilleure utilisation des chiens de protection.
Mots clés : Chien - Protection - Troupeau - Berger - Patou
1 – Genèse du chien de protection en France
Les faits
- La présence du loup est avérée et irréversible
- C’est un problème majeur pour l’agro pastoralisme
- La protection par des chiens est une absolue nécessité car c’est de loin le moyen le plus efficace de protéger les troupeaux, et le loup.
- Pourtant il n’y a pas de savoir valide en France sur l’utilisation de ces chiens.
Aujourd’hui les chiens de protection ne sont pas une solution. Ils sont un problème.
Le chien de protection en France : un mauvais départ qui dure depuis 20 ans
Le retour des chiens de protection en France a démarré sur de très mauvaises bases toujours à l’origine de nombreux problèmes dans le milieu rural.
Après l’arrivée du loup dans les Alpes il y a 20 ans, les pouvoirs publics ont encouragé et financé l’acquisition de chiens de protection par les bergers.
La méthode de mise en place des chiots a été ramenée des Etats-Unis faisant suite aux travaux des Coppinger. Cette méthode simpliste s’est alors imposée comme une vérité universelle colportée de publication en publication jusqu’à nos jours. En France tout savoir faire concernant les chiens de protection était perdu depuis plus d’une centaine d’années. La méthode Coppinger a donc été adoptée d’emblée. Elle consiste à faire naître des chiots en bergerie, sans contact avec l’homme et à les isoler très jeunes de leurs semblables sous prétexte de favoriser leur attachement au troupeau.
Dans ce cadre les besoins fondamentaux des chiots ont été totalement ignorés. Ce sont des besoins de jeu, de sécurité, de soutien, d’affection et de formation par les adultes. Les chiots formés selon cette méthode se construisent sur la peur et non pas sur la confiance comme c’est le cas pour les louveteaux, élevés au sein d’une meute jusqu’à un âge avancé. Cette méthode produit des chiens difficiles à gérer y compris par leurs propres bergers.
Le travail des chiens de protection
Historiquement les chiens de protection ont toujours travaillé avec des bergers dont ils étaient les compagnons. Les chiens ont besoin de la reconnaissance et de l’affection de leur berger pour avoir une bonne stabilité mentale.
Par leurs aboiements de nuit et en marquant leur territoire avec leurs urines et leurs crottes, les chiens, mâles et femelles, établissent un périmètre de sécurité autour du troupeau. Ils évitent ainsi la plupart du temps toute confrontation directe avec les prédateurs auxquels le message est clairement destiné. Le rôle des chiens est d’empêcher les prédateurs d’approcher le troupeau et non pas de les combattre lorsqu’ils attaquent un troupeau. Grâce à leur odorat très développé, les chiens les détectent à distance et peuvent ainsi les bloquer. Le chien est un moyen de protection des troupeaux non létal pour les prédateurs.
Lorsqu’ils sont correctement utilisés, les chiens de protection sont très efficaces. Dans le monde les cas de loups tués par des chiens sont très rares du fait même de leur fonctionnement. Par contre en France les cas de chiens tués par des loups sont beaucoup plus fréquents car ils sont presque toujours en sous effectif pour effectuer correctement leur travail et donc beaucoup plus vulnérables.
Néanmoins réduire le chien de protection à cette seule « fonction mécanique » c’est continuer à le stigmatiser et à rendre toujours plus problématique son acceptation par les bergers. Les chiens apportent bien plus que de la simple protection au berger et à son troupeau, ils participent à une véritable symbiose. Par leurs aboiements ils préviennent le berger d’évènements inhabituels comme une brebis coincée dans une clôture. Ils sont beaucoup plus vigilants au moment de l’agnelage et prennent soin des agneaux nouveaux nés. Ils favorisent la bonne santé du troupeau par le léchage des brebis après la mise bas et l’élimination des fœtus, des jeunes morts nés et des cadavres. En repoussant les herbivores sauvages ils évitent aussi la transmission de maladies contagieuses au troupeau. Ces comportements bénéfiques ont toujours été ignorés, ils constituent pourtant un atout majeur pour une meilleure acceptation des chiens par les bergers.
En France les seuls travaux engagés sur les chiens de protection concernent des recensements ayant abouti à une base de données non consultable par les premiers intéressés, les bergers, et tombée dans l’oubli faute de mises à jour. Et les fameux tests de comportement sur les chiens au travail dont plusieurs versions s’affrontent.
En pratique, faire juger un chien sur une seule visite, par des testeurs qui n’ont aucune idée du fonctionnement d’un troupeau, dans des conditions de terrain toujours peu prévisibles, reste une gageure. Il suffit qu’une chienne soit en chaleur ou que les chiens aient dû faire face aux loups la nuit précédente pour que les résultats soient aberrants. Par ailleurs ces tests ne concernent que les individus et pas les meutes. Ce projet de tester les chiens adultes conduit à une impasse totale, sans compter son coût exorbitant à raison de 500 € par chien.
Enfin les organisations canines, clubs de race et Société Centrale Canine, sont totalement déconnectées des réalités du monde pastoral et elles n’ont aucune légitimité sur le sujet. Pire, à travers leur promotion des expositions de beauté, elles ont institutionnalisé la destruction des races qu’elles sont censées protéger, les déformants en des hyper types maladifs. Il est donc d’autant plus important de sauvegarder des lignées de chiens saines et rustiques, au travail dans les troupeaux, afin de ne pas perdre une sélection millénaire.
2 - Les chiens de protection : source inépuisable de tracas pour les bergers
Les agriculteurs vivent dans une réalité incontournable qui dure 24 heures par jour 365 jours par an, avec le troupeau, les chiens et des prédateurs qui leur rendent la vie extrêmement difficile. C’est sans compter les consommateurs de la Nature, touristes, citadins, chasseurs et véhicules en tout genre qui sont une source permanente de dérangement.
En conséquence le recours aux chiens de protection s’accompagne d’effets pervers dont les agriculteurs font les frais, et contre lesquels ils ne sont ni protégés ni soutenus par les pouvoirs publics. Lorsque les chiens mordent ce qui est extrêmement rare et beaucoup plus rares que les morsures de caniches ou de labrador, les bergers se retrouvent au tribunal, accusés de ne pas maîtriser leurs chiens. Alors que la plupart du temps c’est l’inconscience d’un promeneur qui aura provoqué la morsure.
Pour autant la présence de chiens de protection reste un véritable souci face à leur comportement. De façon naturelle ils patrouillent tout autour de leur troupeau afin de marquer leur territoire et de détecter l’approche des prédateurs. Ils aboient aussi pour signaler leur présence aux prédateurs, particulièrement la nuit. Ces comportements sont souvent interprétés à tort comme du vagabondage par les non agriculteurs qui se sentent facilement agressés par un chien qui aboie. Les quads, les 4x4, les motos, lorsqu’ils approchent un troupeau souvent très bruyamment et à grande vitesse sont pour les chiens l’équivalent d’une attaque sur leurs brebis. Le mouvement de ces véhicules déclenche un réflexe de poursuite. Il en est de même pour les joggers et les VTT qui déclenchent aussi ce réflexe de poursuite alors qu’ils devraient s’arrêter et laisser venir les chiens à eux avant de repartir calmement. Toutes ces approches brutales sont source de dérangement pour le troupeau et la réaction de protection des chiens est tout à fait logique. Néanmoins ces évènements génèrent de nombreux conflits entre les bergers et les utilisateurs de l’espace rural qui ne respectent pas la tranquillité des troupeaux.
Les aboiements sont un énorme problème dès que les fermes sont proches des habitations ce qui est malheureusement fréquent en France. Les ruraux non agriculteurs considèrent la plupart du temps que les chiens doivent se taire après 22 heures ! Hors c’est justement la nuit que l’aboiement des chiens de protection trouve son efficacité car il est un repoussoir pour les prédateurs auxquels les chiens signalent leur présence. De cette situation paradoxale naissent des conflits de voisinage qui s’enveniment, avec des menaces, des insultes, des dépôts de plainte, l’intervention des gendarmes, du harcèlement téléphonique et des agressions verbales pour ne citer que les réactions les plus courantes.
Il y a sur ce plan-là un énorme travail de communication à réaliser envers le grand public. Face à l’inconscience des consommateurs de Nature, le chien de protection est un souci permanent pour le berger.
3 – La filière « chiens de protection » répond aux abonnés absents
L’absence d’une filière organisée pour la production de chiots et la formation des bergers, pénalise à la fois leur acceptation, leur utilisation et leur efficacité. C’est sans compter la désinformation permanente dont fait l’objet le chien de protection dans notre pays.
Depuis des siècles la sélection des chiens de protection a été réalisée par les bergers dans les zones à grands prédateurs. Le potentiel génétique existe dans plus de 30 races. Il n’est pas nécessaire de le recréer. Il faut simplement le mettre en valeur à travers un réseau d’éleveurs-naisseurs et l’organiser avec des programmes de sélection adaptés afin de ne pas perdre les qualités de travail qui caractérisent ces races anciennes. Il existe un énorme potentiel génétique qui reste encore à exploiter !
Mythes et légendes catastrophiques
Des mythes et des légendes circulent dans les rares publications françaises concernant les chiens de protection depuis 20 ans. Ces propos erronés ont largement contribué à rendre leur utilisation problématique et à décrédibiliser leur efficacité.
Un remarquable exemple de désinformation caractérisée est le documentaire intitulé « Entre chiens et loups » réalisé sur des attaques nocturnes de loups dans le Mercantour. Je ne remets pas ici en cause la bonne foi et les intentions des personnes qui ont monté ce projet. Par contre l’interprétation du comportement des chiens donnée dans le commentaire est totalement fausse. En effet il ressort de ce film que les chiens ne sont pas efficaces, pas courageux, pas assez rapides, incapables de discernement, qu’ils perturbent le troupeau et l’abandonnent.
En réalité ces chiens ont fait un travail exceptionnel compte tenu de leur très faible nombre pour protéger un troupeau de 2500 têtes. Dans une première séquence en 2000 ils sont 5 et dans la deuxième séquence tournée en 2004 ils ne sont plus que 3 et encore 3 jeunes chiens inexpérimentés. Sachant que pour protéger efficacement un tel troupeau il faudrait au moins 15 chiens, il est évident que dans une telle situation les chiens ne peuvent qu’être mis en échec par les loups.
Voici les mythes et légendes les plus répandus :
- Le chiot puis le chien ne doivent pas être manipulés par l’homme afin de favoriser leur attachement au troupeau : FAUX
Les chiots qui sont peu manipulés pendant leurs premières semaines de vie deviennent craintifs face à l’homme. Plus tard ils sont difficiles à manipuler si le besoin s’en fait sentir et impossible à contrôler. C’est la meilleure façon de rendre un chien dangereux pour l’humain.
- Le chien doit rester en permanence avec le troupeau : FAUX
Dans les pays possédant une tradition ancestrale dans l’utilisation des chiens de protection le rôle des chiens est d’empêcher l’approche des prédateurs. Ils doivent détecter les prédateurs à distance et intervenir bien avant que ceux-ci n’atteignent le troupeau. De ce fait les troupeaux doivent être protégés par des meutes de chiens dont certains patrouillent en périphérie du troupeau alors que d’autres restent dans le troupeau pour parer à toute attaque. Les meutes de chiens de protection sont capables de faire évoluer leur stratégie de protection en fonction de la stratégie d’attaque des prédateurs notamment des loups qui travaillent aussi en bandes organisées.
- Le chien doit être né en bergerie de parents au travail : FAUX
Ce n’est ni nécessaire ni suffisant pour faire un bon chien de protection. Pour des raisons sanitaires et pratiques les chiots peuvent naître ailleurs que dans une bergerie. La formation donnée par le naisseur, son protocole d’élevage et les conditions de vie des chiots sont déterminants pour leur avenir.
- Un seul chien peut protéger un troupeau : FAUX
Lorsque les chiens de protection ont commencé à être réutilisés en France pour limiter les dégâts provoqués par les chiens errants, une énorme erreur a été commise en déclarant que ces chiens travaillaient seuls au troupeau.
Dans tous les pays qui ont conservé une tradition pastorale et où l’utilisation des chiens de protection n’a jamais cessé du fait de la présence continue de grands prédateurs, les chiens ne travaillent jamais seuls. Ils travaillent en équipe avec leur berger et d’autres chiens avec lesquels ils forment une meute structurée.
Le chien seul se trouve confronté à une situation impossible à gérer. Il est partagé entre l’envie de rester au milieu du troupeau pour le protéger et l’envie de quitter le troupeau pour aller à la rencontre des prédateurs et les bloquer. Ainsi les chiens de protection doivent travailler au minimum par 2. La taille de la meute doit être adaptée à la taille du troupeau et à son environnement. Les chiens doivent pouvoir prendre du repos compte tenu de l’intense activité physique à laquelle ils sont soumis. Dans une meute ils prennent du repos à tour de rôle. Le chien seul s’épuise inexorablement. Son efficacité et sa durée de vie en sont d’autant plus réduites.
- Les chiots d’une même portée ne peuvent pas travailler ensemble : FAUX
Contrairement à une idée largement répandue il n’y a aucune raison objective qui s’oppose au fait que des chiots issus de la même portée travaillent ensemble. Au contraire les liens de sang qui existent entre les chiens qui se connaissent depuis leur naissance ne peuvent que renforcer leur efficacité dans l’indispensable collaboration d’une meute pour protéger son troupeau.
Ce sont d’ailleurs les liens de sang qui font l’efficacité d’une meute de loups dans laquelle plusieurs générations issues du même couple reproducteurs cohabitent et coopèrent.
- Le chiot ne doit pas être mis en contact avec les chiens de l’exploitation (autres chiens de protection, chiens de conduite, chiens de compagnie) pendant les premiers mois suivant son arrivée : FAUX
Le chien est un animal de meute qui a besoin de contacts avec ses congénères afin de se développer de façon équilibrée. Les chiots ont un besoin de jeu très important jusqu’à l’âge d’au moins 1 an. Il faut donc qu’ils soient mis en présence de congénères pour dépenser leurs surplus d’énergie et trouver des limites que les brebis sont incapables de leur donner. C’est tout l’intérêt de démarrer 2 chiots ensemble lors d’une première introduction. Par ailleurs les chiens de protection doivent connaître tous les chiens de l’exploitation afin de les intégrer dans leur « troupeau » au sens large du terme et d’autoriser le travail des chiens de conduite.
- Le chiot ne doit jamais quitter le troupeau : FAUX
Il est important que le chiot puisse vivre des expériences variées pendant les premières semaines suivant son introduction dans le troupeau. Il est ainsi souhaitable qu’il connaisse l’ambiance urbaine et puisse circuler sans peur dans ce milieu qu’il ne fréquentera que très peu, en général pour aller chez le vétérinaire.
Ce sera aussi l’occasion pour lui de faire l’apprentissage de la voiture sur des trajets limités. Ces expériences variées permettent d’abaisser son seuil de réactivité ce qui est un gage de sécurité par rapport aux comportements inconscients de nombreux utilisateurs du milieu naturel.
- Le chien ne doit pas manger les placentas ou les cadavres car il tuera ensuite les animaux du troupeau pour les consommer : FAUX
Les chiens de protection mangent naturellement les délivrances des brebis et les agneaux morts. Les chiens adultes gardent les cadavres en les consommant partiellement. Pendant les mises bas ils lèchent les agneaux nouveaux nés. Tous ces comportements sont normaux. Il ne faut surtout pas les interdire ou pire encore les sanctionner. Par contre il faut pouvoir les superviser lors des premières expériences du jeune chien.
- Le chien se prend pour un mouton : FAUX
Si c’était le cas il partirait en courant à l’arrivée du loup ! Les chiens savent qu’ils sont des chiens, ils ne sont ni des moutons ni des hommes. Le mythe de la dominance colporté dans le milieu canin depuis des lustres est totalement dépassé. Un chien ne cherche jamais à prendre le dessus sur l’homme. La plupart du temps l’homme ne sait pas lire les réactions du chien et c’est lui qui le pousse au crime.
- Le chien territorial et le chien pas territorial : FAUX
Un chien de protection occupe le territoire de son troupeau. Il le suit dans ses déplacements pendant la belle saison ou bien reste localisé autour de la bergerie en hiver lorsque le troupeau ne sort plus au pâturage. Il adopte successivement ces deux types de comportement. Prétendre que des chiens appartiennent à l’une ou l’autre catégorie relève d’une méconnaissance totale des chiens de protection.
4 – Quelles solutions pour une meilleure utilisation des chiens de protection en France ?
De la nécessite d’une filière « chiens de protection »
Concernant la filière il faudrait donc bien distinguer, d’une part des naisseurs de chiots destinés à la protection et d’autre part des utilisateurs de chiens de protection. Les premiers sont garants d’une sélection maîtrisée sur le plan du comportement, de la morphologie et de la santé. Les utilisateurs quant à eux ont besoin de chiens fiables, en bonne santé, faciles à intégrer au troupeau et efficaces contre les prédateurs.
Il faut innover en délivrant un label officiel relatif à la provenance des chiots. L'attribution de ce label prendrait en compte l'application d'un protocole d'élevage spécifique favorable au développement de chiots bien équilibrés. Ce protocole permettrait de produire dans la même portée aussi bien des chiens de travail que des chiens de compagnie qui peuvent être aussi une source de revenus non négligeable pour un agriculteur. Enfin il est absolument nécessaire que les chiots placés au troupeau soient suivis régulièrement tout au long de leur première année de travail par leur naisseur et/ou un technicien pastoral. Ce dispositif est d’autant plus important qu’il s’agit pour le berger de la mise en place de son premier chien de protection. Le meilleur des chiots peut être irrémédiablement gâché par un mauvais maître.
Au-delà d’un simple aspect technique cette démarche collective devrait, pour réussir, intégrer une juste rémunération du travail fourni, de la convivialité et des rencontres qui mettent en valeur les chiens, leurs éleveurs et leurs utilisateurs dans un souci de reconnaissance mutuelle. Les grandes foires agricoles des Alpes seraient par exemple une très belle opportunité de présenter des chiens de protection et leurs utilisateurs.
Former les étudiants des lycées agricoles à l’élevage et à la mise en place des chiens de protection apparaît comme une absolue nécessité dans le contexte actuel.
Vers un chien de protection idéal
En termes d’efficacité de protection le résultat tient à la combinaison de 5 facteurs :
- Le patrimoine génétique du chien
- La méthode d’élevage du naisseur
- La méthode de mise en place
- L’implication du berger
- Le suivi du placement.
Si l’une des composantes est défaillante le résultat final sera tout aussi défaillant. L’impact du naisseur est déterminant dans l’expression du potentiel génétique.
Il faut que les programmes de sélection concernant les chiens de protection soient basés sur des données mesurables tant sur le plan de la morphologie, que de la reproduction et du comportement. Au même titre que ce qui existe pour toutes les autres espèces d’animaux de ferme. (Mauriès, 2013).
Le chien de protection « idéal » c’est :
- Un chiot né et élevé dans une meute de chiens, composée au minimum de son père et de sa mère;
- Un chiot manipulé régulièrement par son naisseur;
- Un environnement stimulant et des contacts avec des animaux de différentes espèces. Sur ce sujet il n’est pas nécessaire d’avoir un troupeau de 2000 brebis pour préparer des chiots à leur futur travail. Mon troupeau ne comporte plus aujourd’hui que 20 chèvres et 30 brebis mères et j’ai placé plus de 60 chiots dans des troupeaux en France et à l’étranger où ils donnent satisfaction.
- Les chiots doivent pouvoir bénéficier de l’encadrement et de la formation donnés par les adultes de la meute. Pour des raisons de coût de production et d’efficacité, un placement à 3 mois est un optimum.
- Tout placement de chiot dans un troupeau devrait être précédé d’une enquête auprès de l’éleveur afin de vérifier que les conditions de succès sont bien remplies. Rien ne sert de placer un chien dans une situation où il sera inévitablement mis en échec.
Un jeune chien de protection doit être considéré en apprentissage pendant ses deux premières années au troupeau. Il ne faut pas attendre d'un chiot qu'il ait un comportement de chien adulte. Il est susceptible de faire des erreurs et c'est normal. C’est au berger de lui enseigner les bons comportements. Les jeunes chiens ne doivent pas être mis en contact avec des agneaux avant l'âge de un an. Ils doivent, pendant ce laps de temps, pouvoir régulièrement jouer avec leurs congénères afin de se décharger de leurs excédents d'énergie et de développer des relations sociales avec leurs semblables.
En terme de maniabilité du chien tout se joue pendant le premier mois de présence au nouveau troupeau. Il est particulièrement important de consolider pendant cette période la relation « chiot – berger - troupeau » à travers des exercices simples.
Bien que toutes les races de chiens de protection possèdent une aptitude au travail certaine, il n’en reste pas moins utile de cadrer et d’éduquer les chiots. Ils doivent connaître une véritable socialisation, pour limiter au maximum les incidents avec les autres utilisateurs de la nature.
Pour un chien de race avec un patrimoine génétique connu, que le chiot naisse au milieu d’un troupeau n’est ni nécessaire ni suffisant. Cela est juste un facteur favorable parmi d’autres, dont une génétique bien maîtrisée qui fait aujourd’hui cruellement défaut dans la population française des chiens de protection.
J’ai donc mis au point un protocole destiné à évaluer le « potentiel » au travail de protection de chiots Montagne des Pyrénées âgés de 3 mois avant qu’ils ne quittent leur exploitation de naissance. Sont évaluées dans ces tests la relation aux animaux et la relation aux humains (Mauriès, 2011).
Du chien idéal à la meute de chiens de protection
Le nombre de chiens à utiliser pour protéger un troupeau est largement sous estimé en France. Ce nombre dépend de plusieurs facteurs :
- La race de mouton car elle influe directement sur l’instinct grégaire du troupeau. Certaines races comme les Mérinos restent bien groupées d’autres comme les Préalpes du Sud ont tendance à s’éparpiller compliquant de ce fait la tâche des chiens et nécessitant alors la présence de plus de chiens,
- La topographie du pâturage et sa nature (prairie ouverte, forêt, montagne, plaine) plus ou moins favorables à une approche discrète des prédateurs ;
- Le comportement des prédateurs notamment des meutes de loups et le nombre de loups dans la meute qui peuvent mettre une pression plus ou moins forte sur le troupeau. Les loups apprennent à attirer les chiens loin du troupeau pour les tuer et parfois même les consommer ;
- La disponibilité en proies sauvages pour les prédateurs ;
- Les types de prédateurs présents (loup, ours, lynx, chiens errants ...);
- La présence de femelles non stérilisées dont les chaleurs peuvent créer du désordre parmi les chiens de protection mâles et même attirer les loups ;
- Les caractéristiques comportementales des chiens de protection diffèrent d’un individu à l’autre. Les connaître permet de constituer le groupe de chiens adéquats face à une prédation prévisible.
Il y a bien souvent plus de différences entre les individus « chien » qu’entre les races bien que ces dernières puissent être complémentaires.
Donner un nombre précis de chiens nécessaires à la protection d’un troupeau est un exercice difficile. Des années d’observations et d’échanges avec des collègues utilisateurs dans le monde entier m’ont conduit à proposer la ligne directrice suivante.
- 2 chiens adultes pour un troupeau (ovins viande) < 100 têtes
- 3 chiens adultes pour un troupeau (ovins viande) jusqu'à 300 têtes
- 4 chiens adultes pour un troupeau (ovins viande) jusqu'à 500 têtes
- 5 chiens adultes pour un troupeau (ovins viande) jusqu'à 700 têtes
- 7 chiens adultes pour un troupeau (ovins viande) jusqu'à 1000 têtes
- 8 chiens adultes pour un troupeau (ovins viande) jusqu'à 1200 têtes
- 10 chiens adultes pour un troupeau (ovins viande) jusqu'à 1500 têtes
Le nombre des chiens peut être diminué ou augmenté selon des circonstances et un environnement qui restent propres à chaque troupeau. Néanmoins tomber en dessous de ces seuils ne peut garantir une protection efficace du troupeau et des chiens eux-mêmes.
Pour l'équilibre de la meute et son efficacité il est bon qu'elle soit composée de mâles et de femelles de différents âges. Les anciens enseignent ainsi aux plus jeunes tout en assurant leur protection. Dès lors qu'un chien atteint l'âge de 5 ans il faut penser à son remplacement et intégrer un nouveau chiot. La meute idéale est composée de la façon suivante :
- Un tiers des chiens doit être très expérimenté (chiens de plus de 5 ans)
- Un tiers doit être expérimenté (chiens de 2 à 5 ans)
- Un tiers composé par les jeunes chiens en apprentissage (chiens de 3 mois à 2 ans).
Faut-il encore utiliser des chiens de protection ?
OUI, car lorsqu’ils sont correctement utilisés les chiens de protection sont très efficaces.
NON, si un berger n’est pas prêt à s’impliquer avec ses chiens de protection. Il vaut mieux qu’il n’en prenne pas et cherche d’autres solutions pour protéger son troupeau.
Conclusion
En 2013 le bilan de la prédation en France est catastrophique à trois niveaux :
- Les bergers souffrent physiquement et moralement car ils sont passionnés par leur métier. Et leurs familles paient le prix fort pour toute cette souffrance accumulée.
- Les troupeaux souffrent, des brebis meurent tuées par les loups et les troupeaux subissent les conséquences des attaques pendant des mois, notamment des avortements et des stérilités qui sont de véritables catastrophes financières et pour lesquels il n’y a aucune indemnisation.
- Les chiens de protection souffrent aussi et certains meurent tués par les loups.
Ce constat d’échec confirme 20 ans d’incohérence dans la gestion du dossier « chiens de protection » en France parce que RIEN N'A JAMAIS ETE FAIT pour que les chiens de protection soient correctement utilisés. Il n’y a pas de recherche, pas de formation pertinente, aucune sélection sur les chiens et pas de filière de production. Le résultat est là, ça ne marche pas.
Le chien de protection est l’auxiliaire du berger, pas son remplaçant. Il fait partie de l’identité pastorale même si cela a été oublié en France au cours des dernières générations. Les bergers ont besoin de chiens sains, stables et efficaces. Tout comme les chiens ont besoin de bergers capables de comprendre leurs réactions et de les laisser travailler selon leur instinct.
Pour pacifier la question du loup, le budget de l’Etat devrait être rééquilibré vers plus de prévention et moins d’indemnisations, donc une meilleure utilisation des chiens de protection.
Cette intervention de l’Etat doit prioritairement se concentrer sur :
- La création d’une filière organisée pour la production de chiots avec des éleveurs naisseurs certifiés.
- La formation des bergers et des étudiants des lycées agricoles à l’élevage et à la gestion des chiens de protection.
- Le financement de chiens de qualité, les subventions accordées étant largement insuffisantes pour assurer une protection réelle des troupeaux.
- La mise en place de sites pilotes pour montrer – et non pas démontrer – l’efficacité des chiens lorsqu’ils sont correctement utilisés.
- La protection juridique des bergers contre les abus et les délits des consommateurs de Nature.
- L’information vers le grand public et l’école.
Il est illusoire de penser que la cohabitation sera harmonieuse en tout temps et en tout lieux. Même en Italie ou Espagne, deux pays souvent cités en exemple, des frictions existent et perdurent. Aucun berger dans le monde ne peut rester insensible à une attaque sur son troupeau.
Pour un éleveur savoir que son troupeau est protégé n’a pas prix. Il faut du temps pour que l’éleveur se familiarise avec le travail des chiens et du temps pour que les chiens acquièrent de l’expérience. Avec le temps l’efficacité de l’entité « troupeau – berger - chiens de protection » s’améliore.
Bibliographie
MAURIES Mathieu. Chiens de protection : le paradoxe français. Le Courrier de la Nature spécial Loup 2013, N°278, 70-72.
MAURIES Mathieu. Pour un programme de sélection et d’amélioration génétique du Chien de Montagne des Pyrénées. 2013. Non publié, disponible sur demande.
MAURIES Mathieu. Les clubs de races : outils de destruction massive des chiens de travail sur troupeau ? 2012. Non publié, disponible sur demande.
MAURIES Mathieu. Protocole d’évaluation des chiots Chien de Montagne des Pyrénées destinés à la protection des troupeaux. Chiens des Pyrénées 2011, N°92, 36-42.
MAURIES Mathieu. Montagne des Pyrénées LOF : plaidoyer d’un berger des Alpes. Cynophilie Française 2010, N°148, 60-62.
© Mathieu Mauriès 2013