Et les chiens dans tout ça ?


« La marque de fabrique de l’Occident moderne est une hyper technicité, une quête du « progrès » matériel. Malgré des avancées incontestables dans d’innombrables domaines, cette forme de progrès, telle qu’elle a été développée jusqu’à ce jour, provoque une destruction rapide et massive de la biosphère. Nous ne cessons d’artificialiser la nature, remplaçant le vivant par des technologies. »

Citation de l’ouvrage PERMACULTURE GUERIR LA TERRE, NOURRIR LES HOMMES Perrine et Charles Hervé-Gruyer (Editions ACTES SUD 2014)

Et bien les chiens de notre époque subissent ce même terrorisme technologique … de leur naissance à leur mort … Dans les cas les plus dramatiques ils sont conçus par insémination, vérifiés par échographie, dénombrés par radiographie, naissent par césarienne [ le début de la fin pour une race canine ] et vivent leurs premières semaines sous des lampes surchauffantes, gavés de biberons de lait artificiel et de vermifuges chimiques… plus tard brossés, shampooinés, laqués pour rester toujours plus « propres » et sentir « bon », nourris de croquettes à la composition inquiétante, aspergés de molécules chimiques toutes plus dangereuses les unes que les autres, vaccinés à outrance, radiographiés dans tous les sens, génétiquement analysés, classés, contrôlés, injectés d’antibiotiques et d’anti-inflammatoires, opérés de toutes part pour les « réparer », ils finissent dans la douleur des cancers et autres maladies auto-immunes à un âge bien trop précoce jusqu’à leur dernière injection fatale.

Les chiens de races dites rustiques comme les Montagne des Pyrénées n’échappent pas à cette frénésie technologique … bien loin du Monde Pastoral qui les a mis au monde. C’est la course aux tests génétiques en tout genre, aux radios de bientôt toutes les parties de leur pauvre corps malmené par des vétérinaires plus soucieux de leurs gains financiers que de la santé de leurs clients à 4 pattes. Un système savamment entretenu par des institutions dont l’incompétence et le mépris pour les professionnels de l’élevage sont sans borne, un système aux mains de la profession vétérinaire dont la cupidité devient légendaire. Un système qui corrompt les éleveurs débutants les plongeant dans un monde artificiel de clubs de race et d’expositions, sans scrupule, et sans pitié pour les chiens dont tous voudraient se faire passer pour les sauveurs alors qu’ils les détruisent de façon inéluctable. Je ne peux que vous recommander sur ce sujet et à titre d’illustration sur une autre race primitive, le remarquable ouvrage de Yolande de Zarobe « Lhassa Apso du Tibet, de 1897 à nos jours ».

En arriver à sélectionner des chiens qui ne sont pas malades au lieu de sélectionner des chiens en bonne santé et équilibrés … Quel drame. Qui peut, parmi les éleveurs, comprendre cette simple phrase ? Comment leur en vouloir de participer à ce système malsain et totalement artificiel où la pensée unique règne en maître absolu alors qu’il n’existe aucune formation honnête et sérieuse sur le sujet de l’élevage canin en France, chasse gardée une fois de plus de la profession vétérinaire dont la plupart des petits soldats ont visiblement oublié qu’ils ont prêté serment lors de la remise de leur diplôme [ Le fameux serment de Bourgelat ]. Les vétérinaires sont des médecins des animaux, ni plus, ni moins. En génétique, en sélection, en nutrition, en Zootechnie, ils n’ont strictement aucune compétence. Pourtant ils se font tous passer pour experts dans ces domaines qu’ils ne maîtrisent absolument pas. Combien de vétérinaires sont éleveurs professionnels de chiens ?

D’où vient par exemple cette idée saugrenue que les chiots nouveaux nés sont incapables de réguler leur température ? Qui peut mettre sur la table les études scientifiques qui prouvent cette affirmation que j’entends depuis plus de 30 ans ? Elle est fausse car sinon comment expliquer la bonne santé des dizaines de chiots Montagne des Pyrénées, Berger d’Anatolie ou Dogue du Tibet nés dans ma bergerie sans lampe chauffante et avec des températures négatives la nuit et souvent le jour ? Ils ont vécu sans montrer le moindre inconfort et ils sont devenus de superbes adultes jamais malades.

Quelle torture pour ces chiots de races rustiques que d’être soumis à des températures allant jusqu’à 30 °C pour soi disant les protéger de méchants virus alors que leur patrimoine génétique les a fait naître résistants au froid. Quelle pitié de les voir glisser sur des carrelages bien blancs et bien propres agrémentés de quelques copeaux de bois … Quelle sélection désastreuse que ces chiennes devenues incapables de nourrir leurs chiots et dont les tétines fonctionnelles n’intéressent personne ? Et ces chiens Montagne des Pyrénées dont on sélectionne des comportements aberrants comme celui de faire l’Arroundera sans raison au milieu d’un minuscule ring. Peut-on sérieusement imaginer préserver les Chiens de Montagne des Pyrénées et d’autres races rustiques en leur infligeant de telles maltraitances ? Car il s’agit de maltraitance sans l’ombre d’un doute … Obliger des chiens à vivre contre leur nature profonde, c’est de la maltraitance.

Combien de fois ai-je entendu dire « mais mon chien est heureux d’aller en expo » et bien c’est faux ! Un chien n’est pas heureux parce qu’il va dans une exposition qui n’a aucun sens pour lui. Il est heureux lorsque son maître lui donne de l’attention et c’est exactement ce qui se passe dans une exposition. Les expositions n’ont jamais rendu les chiens heureux et pour certains elles ont fait leur malheur. Ceux-là payent très cher le fait de ne pas avoir gagné dans ces grandes loteries bling bling de coupes et de paillettes.
 
 
C’EST QUOI ETRE ELEVEUR DE CHIENS ?
 
C’est d’abord connaître la race que l’on élève. Une découverte qui s’étalera sur de nombreuses années tant les embûches sont nombreuses et le chemin parsemé de malhonnêteté et de croyances absurdes. Ce n’est qu’après avoir vu de nombreux chiens, avoir rencontré et échangé avec de nombreux éleveurs, lu de nombreux livres et visité de nombreux sites qu’il devient possible d’imaginer le type de chiens que l’on souhaite produire dans une race particulière. Elever c’est aussi avoir des compétences professionnelles et elles ne tombent pas du ciel. Créer un cheptel de reproducteurs c’est au moins 10 ans de travail … Comme ils sont nombreux les éleveurs « étoile filante » comme le dit si justement une de mes collègues éleveuse qui se reconnaîtra. La passion les prend comme l’envie de faire pipi et s’arrête tout aussi vite que la chasse d’eau est tirée, à la première difficulté. Etre éleveur c’est faire face chaque jour à de multiples difficultés, pas de long fleuve tranquille dans notre métier !

Faire naître ses premiers chiots est une expérience bouleversante dont la magie se poursuit portée après portée, année après année. Mais là aussi rien n’est simple tant le système est déficient en termes d’approches techniques et scientifiques. Il n’existe aujourd’hui aucune base scientifique sérieuse pour faire de la sélection en élevage canin. C’est au petit bonheur la chance, les titres ronflants n’ayant aucune pertinence ni légitimité biologique. Certains auront de la chance, d’autres pas. Par exemple connaître la valeur d’une lignée de chiens pour le travail de protection des troupeaux demande au moins 10 ans d’observations. Un élevage digne de ce nom c’est au minimum 20 ans de sélection. Un travail génétique réalisé sur de nombreuses générations de chiens et donnant un type de chien bien précis aux caractéristiques physiques et comportementales prévisibles. En sélection rien n’est jamais acquis, le travail n’est jamais fini et heureusement. La Vie est sans cesse en mouvement, l’immobilité, l’immobilisme c’est la mort.

Etre éleveur c’est être confronté à la vie et à la mort, vivre des évènements terribles, c’est tomber, et se relever parce que la Passion est ancrée en soi.
 
 
C’EST QUOI LA SELECTION ?
 
La sélection c’est choisir, sur des critères bien définis, les meilleurs individus dans une population déterminée à un instant donné afin qu’ils deviennent les parents de la génération suivante, sans pour autant oublier de conserver une indispensable variabilité génétique. J’ai déjà proposé dans mon programme de sélection pour les Montagne des Pyrénées au travail les critères suivants :

  • Qualité du poil
  • Contrôle de l’aboiement
  • Qualité de la dentition
  • Gabarit
  • Rusticité et reproduction
  • Efficacité au travail


Il faut distinguer les éleveurs sélectionneurs et les éleveurs multiplicateurs. Sélectionner demande de posséder un cheptel conséquent notamment plusieurs mâles. Il n’y a jamais trop de mâles dans un élevage car ce sont eux qui sont les porteurs les plus efficaces de la transmission et de la variabilité génétiques. Une chienne aura au maximum 2 portées dans une année alors qu’un mâle pourra engendrer de très nombreuses portées dans une durée réduite permettant d’apprécier plus facilement et beaucoup plus rapidement son intérêt génétique. Un chien améliorateur c’est un chien qui donne sur des critères précisément définis des chiots meilleurs que la moyenne de leurs contemporains … sauf qu’à ce jour tout cela est impossible à calculer faute de données scientifiques concernant nos chiens.

Au mieux sommes nous tous des multiplicateurs avec l’objectif de reproduire des chiots identiques phénotypiquement à leurs parents dans les limites imposées par des standards qui n’ont eux aussi rien de précis ni de scientifiques dans leur descriptif.

Pour améliorer des critères biologiques précis il faudrait déjà les lister et les hiérarchiser et ces données n’existent pas.
 
 
QUAND S’INSTALLE LA CONTRE SELECTION
 
Il faut bien avoir conscience que dans le cas du Montagne des Pyrénées par exemple :

  • Mettre des chiots sous des lampes chauffantes c’est sélectionner des chiots qui craignent le froid, un comble pour une race rustique vivant en montagne ;
  • Donner des biberons aux chiots c’est sélectionner des chiennes qui n’ont pas de lait et pas assez de tétines fonctionnelles. Mais qui s’intéresse aux tétines des chiennes ? Sûrement pas les juges qui ne veulent pas voir pointer la moindre tétine sur leurs rings;
  • Brosser des chiens chaque semaine, c’est sélectionner des chiens incapables de faire des mues naturelles et sensibles aux problèmes de « hot spot », c’est encourager un poil artificiel et pas naturellement résistant aux intempéries ;

 
Je donnerai encore un exemple sur une autre race que je connais bien pour l’élever : le bouledogue français :

  • Multiplier des chiens avec des corps courts, c’est sélectionner des chiens produisant des hernies discales ;
  • Multiplier des chiens avec des corps courts et massifs, c’est sélectionner des chiens mâles incapables de saillir naturellement ;
  • Pratiquer systématiquement des césariennes sur les chiennes, c’est sélectionner l’atonie utérine (absence de contractions à la mise bas) et l’impossibilité de mettre bas naturellement ;
  • Encourager l’absence de nez, c’est sélectionner des chiens dont le corps est chroniquement en manque d’oxygène, des chiens qui accumulent les toxines, des chiens qui digèrent mal et dont les organes externes (peau, poils) cumulent les pathologies … ;

 
Les qualités maternelles des chiennes sont malheureusement totalement ignorées et bien sûr encore moins évaluées. Elles n’entrent à aucun moment dans les grilles de cotation des reproducteurs. Pourtant la recherche a démontré que des jeunes élevés par des mères négligentes et peu affectueuses deviennent des adultes très sensibles au stress. Et ces traits de caractères sont transmis aux générations suivantes. Des mères sans qualités maternelles mettent au monde des filles qui présenteront à l’âge adulte un comportement équivalent de « mauvaises » mères.

Pour rajouter au désastre la plupart des chiens de race vivent sous camisole chimique permanente : vermifuges, antiparasitaires, antibiotiques, anti-inflammatoires, vaccins et leurs adjuvants divers et variés mais surtout toxiques, torpillent l’immunité naturelle et fragilisent de façon dramatique l’organisme. Il suffit de regarder pour s’en persuader la longévité des chiens qui ne fait que se réduire y compris pour les chiens de races dites rustiques.

Quelle que soit la quantité de technologie injectée dans ce système « moderne » à travers la ribambelle de tests en tous genres qui s’abattent sur nos pauvres compagnons, l’effondrement des races canines se poursuivra inéluctablement génération après génération car les bases du système sont totalement erronées. Il n’existe aucune sélection au sens génétique du terme dans les populations actuelles de chiens de race.

A bien des égards la situation du monde canin « moderne » reflète la folie de notre civilisation occidentale du soi disant progrès dont les excès en tous genres nous conduisent à une surconsommation sans limites et sans bonheur, toujours plus destructrice pour un environnement qui ne peut déjà plus supporter et digérer la bêtise humaine et ses déchets. Le monde canin et le monde tout court sont en faillite.

Il est temps de revenir aux fondamentaux de la Nature et au respect de tous les êtres vivants.

En clair la cynophilie telle qu’elle est pratiquée de nos jours est une aberration aux conséquences plus que dramatiques pour nos chiens de race.
 
 
CE MONDE EST FOU MAIS UN NOUVEAU MONDE EST EN MARCHE
 
Je suis libre penseur, j’écris avec mon cœur et la passion qui m’anime, je suis pour le partage des connaissances entre éleveurs, les formations pratiques sur le terrain. Et un éleveur apprend jusqu’à son dernier jour. Je suis pour la collaboration honnête entre éleveurs au bénéfice de la santé et du bien être de nos chiens. C’est d’ailleurs la seule façon de travailler correctement en élevage.

Le monde canin d’aujourd’hui auquel je refuse de participer appartient à un ancien monde en train de s’effondrer et bâti sur des valeurs tout aussi artificielles que les jugements d’exposition. Un nouveau monde est en train de naître pour lequel le respect des humains, des animaux et de la planète est une valeur fondamentale. Je vous invite à venir me rejoindre dans ce nouveau monde.

« En ces temps de tromperie universelle, dire la vérité devient un acte révolutionnaire. » G. Orwel, 1984


© Mathieu Mauriès 2015


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