Expérience d’élevage de chiots Montagne des Pyrénées destinés à la protection des troupeaux ou à la compagnie


Ce texte fait suite à mon article « Evaluation du potentiel de travail de chiots Montagne des Pyrénées destinés à la protection des troupeaux » paru dans le bulletin de la RACP N°92-2011. Il précise de quelle manière j’élève mes chiots Montagne dans ma ferme. Mon troupeau est composé de brebis de race Cameroun et de chèvres de race Anglo-Nubienne. Elles mettent bas chaque année au printemps.
 
Elever des chiots pour le troupeau
 
Ma première portée de chiots Montagne des Pyrénées LOF est née en 2006. Au fil des années j’ai découvert, non sans émerveillement, toutes les potentialités de nos chiens, particulièrement lorsqu’elles s’appliquent au troupeau. Mes Montagnes travaillent quotidiennement avec mes chèvres et mes brebis. Dans le passé ils ont également protégé un troupeau d’alpagas, passant d’une espèce à l’autre sans aucune difficulté.
 
N’ayant jamais utilisé de chien de conduite dans mon troupeau de chèvres, j’ai découvert le chien de protection sans aucun à priori concernant son éducation. Vivre au quotidien avec une meute de Montagnes et un troupeau a été mon professeur. Ce sont mes chiens qui m’ont tout appris. Par exemple l’importance du marquage du territoire à la fois par les mâles mais aussi par les femelles. Ayant consigné mes observations, j’ai pu vérifier qu’elles étaient reproductibles au sein de la meute. J’en ai donc tiré des enseignements pour préparer au mieux mes chiots à leur future vie de chiens de protection.


Le rôle du naisseur est déterminant dans la réussite de la mise en place au troupeau d’un chien de protection. Hors ce rôle est toujours sous-estimé et simplifié à l’extrême dans le discours actuel concernant les chiens de protection. Ainsi il est conseillé impérativement que les chiots soient issus de parents au travail, qu’ils naissent en bergerie et passent tout leur temps dans le troupeau pratiquement sans contact avec les humains. A mes débuts dans l’élevage ce type de conseils m’a plutôt conduit à des échecs qu’à des réussites. Comme pour toutes mes propositions, ce texte n’est pas définitif car ma pensée évolue avec le temps et l’expérience. Il fait le point à un instant donné sur mes pratiques d’élevage toujours susceptibles d’améliorations.
 
Cette méthode d’élevage s’adresse aussi bien aux chiots destinés à la protection des troupeaux qu’à la compagnie puisque systématiquement dans mes portées les chiots partent pour l’une et l’autre de ces destinations. Les chiots qui partent pour la compagnie ne peuvent que bénéficier des multiples stimulations offertes par la vie dans une ferme. Ils s’adaptent d’ailleurs très bien à leur nouvelle vie.
 
La relation que j’établis avec mes chiots commence très tôt. En effet je leur parle lorsqu’ils sont encore dans le ventre de leur mère à l’occasion des promenades du matin et du soir avec toute la meute. Les chiennes gestantes sont toujours très proches de moi à cette période.
 
La naissance : bergerie ou pas bergerie ?
 
Après avoir laissé mes chiennes mettre bas en bergerie pendant plusieurs années je fais le constat que j’ai systématiquement perdu des chiots. Chaque fois ils sont morts écrasés pendant la nuit durant leur première semaine de vie. A l’inverse il faut noter que je n’ai jamais eu aucune infection chez ces chiots pourtant nés dans la litière des chèvres et dont je ne désinfecte jamais le cordon ombilicale. Même en hiver je n’ai jamais mis de lampe chauffante sur les portées et les chiots l’ont toujours bien supporté.
Les chiennes qui mettent bas sur la paille ont tendance à creuser un nid en forme de cuvette dans le fumier. Lorsque la chienne se lève pour aller boire, manger ou faire ses besoins, les chiots se retrouvent entassés les uns sur les autres au fond du nid. Si la mère se recouche sans trop de précaution sur sa portée, des chiots se retrouvent coincés sous elle. Sans intervention rapide ils meurent étouffés.
 
J’ai donc décidé de modifier cette première étape en autorisant la mise bas en bergerie ou même dans la pâture. Mais je récupère ensuite les chiots et la maman que j’installe chez moi. J’utilise dans la maison une caisse de mise bas de dimension 1,60 x 1,40 m avec des barres anti-écrasement. Je reste présent pendant toute la durée de la mise bas. Les chiennes recherchent d’ailleurs mon contact lorsque le travail démarre. Pour sa deuxième portée, Dune pleine de 11 chiots a sauté la barrière au pâturage – chose qu’elle ne fait jamais – pour venir me chercher à la maison … A sa première mise bas en bergerie elle a écrasé les deux premiers jours 6 de ses 10 chiots. Sur cette deuxième mise bas tous les chiots ont survécu mais au prix de nombreuses interventions de ma part, la chienne manquant à nouveau totalement de délicatesse envers sa portée.
Les chiots vivent donc une dizaine de jours sous une surveillance constante, jour et nuit. Lorsque je dois sortir m’occuper des autres animaux de la ferme, je prends la chienne avec moi. Sachant qu’à cette période elle fait téter ses bébés à peu prés toutes les deux heures. J’attends qu’une tétée soit terminée avant de sortir avec elle. Cela ne pose aucun problème à la mère qui soit reste à proximité soit rejoint la meute et le troupeau le temps que je la ramène vers ses chiots.
Faire vivre les chiots à l’intérieur présente aussi l’avantage en été de les protéger des mouches qui sont extrêmement nombreuses et agressives. Sur les chiennes elles-mêmes et du fait des pertes de fluides qui suivent la mise bas, les mouches pondent sur la moindre trace de sang. Des asticots se développent alors en moins de 24 heures sur la région génitale provoquant des lésions profondes. Il faut exercer une surveillance constante pour limiter ces problèmes qui touchent aussi mes brebis et mes chèvres pendant toute la période des grandes chaleurs. En été, maintenir les chiennes dans la maison juste après la mise bas permet de limiter grandement ces inconvénients.
 
Le retour à la ferme : phase de 2 à 4 semaines
 
Les 15 premiers jours passés, les chiots sont suffisamment gros et mobiles pour que le risque d’écrasement soit pratiquement écarté. Ils rejoignent alors un boxe proche de la bergerie avec leur mère de façon à sentir et ressentir l’ambiance du troupeau (bêlements, bruits de cloches, aboiement des autres chiens, bruits et odeurs variés de la ferme).
 
Pendant la saison de garde, les chiennes allaitantes laissent leur portée pour rejoindre la meute et le troupeau. Elles sont ainsi absentes pendant les deux à trois heures que dure le pâturage, matin et soir. A leur retour elles vont immédiatement retrouver et nourrir leurs petits. Pendant ces absences, et pour leur sécurité, les chiots sont enfermés dans leur boxe.
 
Ils commencent à manger des croquettes sèches dès trois semaines. Ils consomment aussi du lait frais de chèvre entier lorsque les chèvres sont en lactation.
J’ai l’habitude de mettre ma main dans la gamelle au début de leur repas pour leur montrer que je peux approcher la nourriture sans pour autant la leur enlever. Le sevrage par la mère intervient de façon très variable, d’une chienne à l’autre, et d’une portée à une autre pour la même chienne, soit entre 3 et 8 semaines.
 
Les manipulations sur les chiots
 
Ces exercices ne me prennent que quelques minutes le matin pour la manipulation de toute la portée. Ils sont répétés sur une douzaine de jours seulement car rapidement intégrés par les chiots.
 
Pour stimuler, éveiller et désensibiliser mes petits Montagnes je les porte individuellement dans mes bras. Ensuite je les manipule et caresse leurs quatre pattes, leurs deux oreilles et leur ventre. Je leur ouvre la gueule. Et je les oblige enfin à me regarder droit dans les yeux pendant quelques secondes chaque jour.
Ils ont par ailleurs accès à des bouteilles en plastique qui leur servent de jouets. Ils entrent en contact de façon naturelle avec tous les autres animaux de la ferme sans que j’aie besoin de les forcer à le faire (chiens, chèvres, brebis, volailles, chats, cochons).
 
La ferme : phase de 4 à 12 semaines
 
A leur troisième semaine le parc de découverte situé dans la cour de la ferme (20 m²) permet aux chiots encore patauds de faire connaissance en toute sécurité avec tous les autres animaux de la ferme.
Dès 4 semaines les chiots circulent librement dans la cour au milieu de la meute. Entre 4 et 8 semaines les chiots partent d’eux même, chacun à son rythme, à la découverte du troupeau en passant sous les barrières de la bergerie et en rejoignant les chèvres et les brebis.
 
Entre 8 et 12 semaines les phases de jeu et de poursuites sont très importantes entre chiots d’une même portée, de même que les expériences de soumission aux adultes. Il est essentiel que les jeunes ne soient pas privés de ces confrontations au sein de leur propre espèce. C’est pendant cette période que les chiots apprennent à marcher en laisse et à rester à l’attache. Pour ceux qui naissent en saison de pâturage, c’est à ce moment-là qu’ils commencent à suivre spontanément le troupeau qui part en montagne encadré par les chiens adultes. Aussi jeunes ils sont déjà capables de suivre le troupeau pendant tout son déplacement de plusieurs kilomètres. Ceux qui naissent en période hivernale passent une grande partie de leur temps dans la bergerie tout en ayant un accès libre à la cour de la ferme. Ils ne sont jamais contraints à rester dans le troupeau.
Dans cette phase de développement les chiots sont souvent tentés de courir par jeu après les volailles qui circulent librement dans toute la ferme. Il me faut donc être vigilant et bloquer ces tentatives. Les jeunes chiens comprennent très vite ce qu’ils n’ont pas le droit de faire.
 
La présence d’un mâle, qu’il soit le père ou non, est importante car il joue un rôle prépondérant dans l’éducation à la hiérarchie des chiots. Les mères sont souvent très permissives avec leurs petits alors qu’un mâle ne laisse rien passer. Vivre au milieu des adultes permet aux chiots d’expérimenter et d’acquérir un self-control ainsi qu’un langage et des codes sociaux qui feront d’eux plus tard des chiens équilibrés.
 
Les repas se déroulent deux fois par jour, matin et soir à heures fixes, en présence de tous mes chiens. Je dispose mes gamelles sur une ligne droite qui traverse toute la cour de ma ferme. Les chiens et les chiots se répartissent les gamelles sans que j’aie besoin d’intervenir. Mes chiots sont aussi en contact régulier avec mes autres chiens bouledogue français, bulldog anglais et Dogue du Tibet. Ils côtoient ainsi tous les jours des chiens de différentes tailles et couleurs.
 
Avant le départ vers leur nouveau troupeau, les chiots sont testés avec la méthode que j’ai mise au point de façon à contrôler leur bonne aptitude au travail. Ils quittent la ferme à 12 semaines minimum alors que les chiots destinés à la compagnie partent à 10 semaines.
 
L’arrivée dans le nouveau troupeau
 
Il ne faut pas trop demander et trop attendre d’un chiot lorsqu’il arrive dans son nouveau troupeau. C’est toujours un bébé qui hier encore jouait avec ses frères et sœurs en toute insouciance. Brutalement alors qu’il vivait au sein d’une meute, il se retrouve souvent tout seul dans un endroit inconnu avec des personnes étrangères et un nouveau troupeau. Cela est source d’un stress inévitable que des chiots bien éduqués surmontent rapidement. On ne peut pas attendre d’un chiot qu’il ait un comportement de chien adulte du jour au lendemain. En la matière l’éducation du berger est largement aussi importante que celle du chiot ! Le potentiel de travail d’un chiot peut être irrémédiablement gâché par des réactions inadaptées du berger. J’assure donc un suivi de mes chiots à distance pendant les premières semaines suivant leur arrivée dans leur nouveau troupeau.
 
L’éducation du chiot se fait par étapes et dans le temps. Il ne faut pas vouloir aller trop vite. Un chiot de 5 mois ne peut pas protéger efficacement un troupeau. L’apprentissage est bien sûr grandement facilité si le jeune travaille avec des chiens adultes.
Les chiots ont besoin d’avoir des contacts avec les autres chiens de leur nouvelle exploitation, qu’ils soient chiens de protection, de conduite ou chiens de compagnie. Il est important qu’ils puissent jouer régulièrement avec leur espèce de façon à éliminer leurs excédents d’énergie qui autrement seront utilisés pour faire des bêtises comme jouer avec les oreilles et les queues des agneaux. Chez des chiots équilibrés, les phases de jeu restent cependant réduites et le chiot demande spontanément à rejoindre son troupeau.
 
A leur arrivée, les chiots doivent également être présentés à tous les membres de la famille prise au sens large, humains et animaux.
 
Pour une meilleure compréhension du chiot
 
La description du jeune chien par la comportementaliste norvégienne Turid Rugaas http://www.canis.no/rugaas/ a été pour moi riche d’enseignement et a modifié considérablement mon approche. Elle explique que les jeunes chiens :

  • ont besoin d’action et de vitesse
  • qu’ils s’ennuient facilement si aucun évènement intéressant ne se produit
  • que leur self-control est très limité voire inexistant
  • que leur capacité de concentration est très réduite
  • qu’ils passent principalement leur temps à jouer
  • qu’ils ne peuvent apprendre à se maîtriser que très progressivement
  • qu’ils doivent fréquenter leurs congénères
  • qu’ils doivent vivre des situations différentes et faire des rencontres variées

 
Il est donc nécessaire de respecter l’évolution du chiot vers le chien adulte en répondant à ses besoins, notamment de jeu. Comparés à d’autres races les chiots Montagne sont peu turbulents. Ils s’adaptent facilement et rapidement à un nouvel environnement.
 
Bien sûr il faut absolument éviter de placer le chiot dans des situations qu’il ne pourra pas gérer. Ainsi je déconseille fortement d’intégrer un chiot de moins de 6 mois dans un troupeau de brebis à l’agnelage. D’une part les brebis risquent d’être agressives envers le chiot pour protéger leurs rejetons et d’autre part le chiot sera fortement tenté de considérer les jeunes agneaux comme des compagnons de jeu à l’égal de ses frères et sœurs de portée. Autant les chiots savent se réguler entre eux, autant un agneau ne possède pas les codes et les signaux pour avertir le chiot qu’il va trop loin dans le jeu jusqu’à provoquer une blessure.
 
Je n’ai personnellement jamais remarqué de véritable crise d’adolescence chez mes jeunes Montagnes qui conservent un comportement très stable.
 
En terme de maniabilité du chien tout se joue pendant le premier mois de présence au nouveau troupeau. Il est particulièrement important de consolider pendant cette période la relation « chiot-berger-troupeau » à travers des exercices simples et rapides deux fois par jour. Il est par exemple important que le berger prenne le temps de promener son chiot en laisse ne serait-ce que pour le sortir de la bergerie et lui faire découvrir les limites de son territoire. La promenade en laisse, vécue comme un instant de détente, est aussi une excellente occasion de renforcer le lien entre le berger et son chien sans que cela se fasse au détriment du troupeau. Il faut également faire découvrir au chiot des situations nouvelles comme le promener en voiture, lui faire visiter une exploitation voisine, le mettre en présence d’enfants et le faire marcher dans les rues d’un village.
 
Je conseille aux bergers de laisser leurs chiens manger les placentas et les morts nés pendant l’agnelage. Les chiens adultes gardent les cadavres en les consommant partiellement. Les Montagnes lèchent aussi les agneaux ou les chevreaux nouveaux nés à la naissance. Tous ces comportements sont normaux. Il ne faut surtout pas les interdire ou pire encore les sanctionner. Par contre il faut pouvoir les superviser lors des premières expériences du jeune chien.
 
La violence physique ne doit jamais être utilisée pour corriger un mauvais comportement du chiot. Signifier son mécontentement puis ignorer le chiot, lui tourner le dos et partir sera bien plus efficace tout comme le féliciter lorsqu’il se comporte bien. Sur ce plan de la compréhension « humain-chien » je ne peux que vous recommander le merveilleux ouvrage de Turid Rugaas « Les signaux d’apaisement » aux Editions du Génie Canin.
 
Nos Montagnes dans les troupeaux …
 
Elever des chiots Montagne des Pyrénées pour la protection des troupeaux n’est en définitive pas si compliqué. L’environnement dans lequel ils grandissent doit être rempli de stimulations de toutes natures. De nombreux problèmes de comportement rencontrés chez le chien de protection adulte seraient évités si les chiots étaient mieux préparés à leur nouvelle vie et mieux socialisés. Il va s’en dire que la génétique portée par le chiot est tout aussi importante que son éducation d’où l’intérêt de travailler avec des chiens LOF aux origines connues.
 
Encourager le retour de vrais « patous » dans les troupeaux serait sans aucun doute la meilleure démonstration du potentiel de nos chiens de Montagne des Pyrénées quelle que soit leur destination, le travail ou la compagnie.


© Mathieu Mauriès 2012



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