Le chien de Montagne des Pyrénées : un défi à la science
Le chien de Montagne des Pyrénées est une race de travail façonnée pour la protection des troupeaux par des générations de sélection paysanne. Un Montagne des Pyrénées assurera toute sa vie avec une vigilance sans faille la protection de « son » troupeau même si ce « troupeau » peut de nos jours revêtir différentes formes. Mettre en cause les qualités de travail de nos chiens relève d’un manque sérieux de connaissances de la race qui ne peuvent s’acquérir qu’en vivant 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7 avec ces chiens incomparables. Bien évidemment de tels propos ne sont pas acceptables pour toute l’infrastructure qui dirige d’une main de fer notre agriculture, nos troupeaux et plus récemment nos chiens …. Comment un « simple éleveur » pourrait-il avoir une opinion sensée sur un sujet gros comme un(e) Montagne ?
L’approche cartésienne qui règne partout en France depuis l’historique Monsieur Descartes est la plupart du temps désastreuse quand il s’agit d’aborder les questions biologiques au sens large du terme …. Descartes découpait à son époque les chiens encore vivants pour vérifier qu’ils étaient bien des machines sans émotion ni ressenti (la théorie des « animaux-machines ») … édifiant comme approche ! Mais avons-nous vraiment évolué depuis ? La réalité est toujours complexe surtout quand elle touche au fonctionnement d’un milieu naturel dans lequel règnent des relations et des équilibres subtils. Elle ne peut se résumer à une série d’expérimentations discontinues dites « scientifiques » dont les conclusions ne restent valides que dans un cadre fort restreint et uniquement pour les sujets testés. L’éthique voudrait également que soient systématiquement mentionnées les sources et les auteurs des chiffres avancés par certains pour juger du comportement de nos chiens au troupeau … force est de constater que certains chiffres relèvent plus d’une opinion personnelle que de réelles expérimentations scientifiques.
Depuis un peu plus d’un siècle cette approche cartésienne et scientifique a tout simplement dépossédé les éleveurs de leur métier et ce quelles que soient les espèces animales considérées. Aujourd’hui en 2008, pour citer un exemple, une chèvre française issue d’un puissant schéma de sélection à grand renfort d’index et de coefficients de détermination et produisant 1000 kg de lait par an est considérée comme excellente … hors dans les années 1900, les éleveurs anglais avaient déjà sélectionné des chèvres qui produisaient plus de 1000 kg de lait et cela sans scientifiques, ni ordinateurs, ni le moindre index !
Les éleveurs possèdent un savoir faire et un savoir être qui échappent totalement aux canons de la science actuelle supposée tout expliquer de façon rationnelle. Ces connaissances empiriques, mais néanmoins tout à fait réelles, sont la plupart du temps méprisées au profit d’approches dites scientifiques, plus … sérieuses … sensées apporter la bonne parole partout dans le monde. L’agriculture intensive est une belle illustration de cette rigueur exemplaire dans la destruction quasi systématique de la planète, de la biodiversité et des populations rurales …
Les éleveurs doivent reprendre en main leur propre destinée. Toute approche scientifique n’est bien sûr pas à bannir si elle est utilisée à bon escient mais l’Homme, l’Eleveur, doit rester au centre de toute démarche le concernant lui et ses animaux. Le Scientifique, dans sa démarche expérimentale, teste des hypothèses concernant une toute petite partie d’une réalité biologique complexe et ce dans un milieu contrôlé, donc très simplifié. C’est la raison pour laquelle toute conclusion dite « scientifique » et toute généralisation (de fait abusive ?) doivent être considérées avec la plus grande prudence. La Science n’est pas la Vie, loin de là, juste une vision qui porte en elle ses propres limites. La fiabilité des résultats scientifiques dépend de la pertinence de la démarche et de la fiabilité des outils utilisés pour collecter les données expérimentales, avec de nombreuses limites pour ces derniers dont on oublie très souvent de parler … Un test pour évaluer l’aptitude au travail de nos Montagnes … ? Et si le chien a conscience qu’il s’agit d’un test, pourquoi perdrait-il son temps à réagir et faire semblant alors qu’il n’y a aucun danger réel pour son troupeau ? Et le Montagne est tout à fait capable de faire cette distinction … tous les éleveurs le savent ! Que dire alors des résultats des tests dans ce cas ?
Notre collègue américain Joseph Gentzel (Elevage Aneto) a récemment publié un ouvrage sur le Montagne à partir de plus de 30 années d’expérience d’élevage (Great Pyrenees Owner’s Handbook - Pyrenean Journal 2008 ISBN 978-1438205335). Il met bien en évidence la complexité de ce chien qui reste indéniablement un chien de travail, même né loin d’un troupeau. En 30 ans Joseph Gentzel a placé plus de 70 Montagnes de son élevage dans des troupeaux et ce sans aucun échec. Cela ne signifie pas qu’il n’y ait pas eu quelques problèmes de mise en place mais ils furent tous résolus assez simplement. Dans certaines situations ce qui apparaissait au premier abord comme un défaut de fonctionnement du chien n’en était absolument pas un car l’utilisateur n’avait pas appréhendé la globalité de la situation. Gardons-nous de juger trop vite le comportement d’un Montagne au travail car ces chiens ne font jamais rien sans raison.
J. Gentzel rapporte dans son ouvrage un problème rencontré dans un village de Norvège un peu trop souvent visité par les ours d’un parc naturel voisin qui commencèrent à créer des problèmes aux fermiers et à leur bétail. Les scientifiques ayant mis au point des tests pour trouver la meilleure parade à ces intrusions gênantes avaient conclu que les Montagnes des Pyrénées n’étaient pas du tout adaptés à la résolution du problème car ils provenaient d’élevages de chiens de compagnie, à priori sans aptitude au travail de protection …. D’autres races de chiens et d’autres moyens d’effarouchement préconisés par ces scientifiques s’étant révélé sans aucune efficacité sur les ours, des chiens de Montagne des Pyrénées furent finalement introduits. Dès que les Montagnes furent présents sur les fermes, les visites des ours cessèrent. Il n’y eu aucune attaque directe dans les faces à faces qui se produisirent entre chiens et plantigrades. Les ours reprirent ainsi sans encombre le chemin de leur réserve, le message ayant été parfaitement transmis par les Montagnes. La communication entre les chiens et les prédateurs apparaît évidente à la lumière d’une telle expérience pourtant elle n’est pas aujourd’hui reconnue et ramenée à une simple action mécanique du protecteur contre le prédateur … quel scientifique a étudié l’impact du marquage du territoire par un mâle Montagne sur le comportement des prédateurs ? Il existe donc une multitude de facettes du Montagne qui restent à explorer …
Une autre anecdote concerne un chien adulte placé au travail par J. Gentzel. Ce jeune mâle issu d’une lignée de chiens d’exposition avait dû abandonner sa carrière à cause d’un testicule baladeur qui avait fini par remonter un peu trop haut … Il fut donc envoyé dans un collège d’agriculture du Kentucky qui rencontrait des problèmes de prédation sur son bétail. Ce chien, très familier, adorait aller rendre visite aux étudiants qui le cajolaient et bientôt J. Gentzel fut contacté par le collège se plaignant que le chien ne restait pas avec le troupeau. Malgré plusieurs tentatives de correction, ce comportement ne se modifia pas au cours des semaines suivantes. Le chien trouva même un voisin qui l’aimait bien et le laissait monter dans son 4X4 de temps à autre pour faire une petite balade … autant de comportements qui ne sont pas recherchés chez un chien de protection cela va sans dire ! Ce bilan n’était donc pas en faveur du chien. Néanmoins lorsque J. Gentzel s’inquiéta de savoir si le troupeau subissait encore des pertes par la prédation, la réponse fut non. Toute prédation avait cessé depuis l’arrivée du chien. Plus tard une observation détaillée du comportement de ce chien démontra qu’il passait en fait un temps considérable avec son troupeau mais qu’il aimait partir de temps en temps voir les étudiants ou l’agriculteur voisin. Par la suite il n’y eu aucune prédation sur son troupeau. Ce Montagne remplissait donc parfaitement son rôle de protecteur en dépit d’apparences fort trompeuses. Selon J. Gentzel la clé du succès lors de l’introduction d’un chien au travail réside dans le fait que le chien reconnaisse « son » troupeau. De là il assumera parfaitement son rôle de protecteur.
On peut donc se poser la question légitime de savoir si le même test est applicable à toutes les races de chiens de protection ? Sans doute pas, car chaque race a été sélectionnée dans un milieu particulier et le chien résultant de cette sélection a développé un comportement adapté à son milieu. Toutes les races ne fonctionnent donc pas de la même façon.
Bien que nos Montagnes possèdent une aptitude au travail certaine liée à la sélection de nos prédécesseurs, il n’en reste pas moins utile de cadrer et d’éduquer les chiots avec une vraie socialisation pour limiter au maximum les incidents avec les autres utilisateurs de l’espace rural. L’introduction dans le troupeau doit faire l’objet d’un suivi sérieux pendant la première année par des personnes compétentes connaissant bien la race.
Il revient aussi au naisseur des chiots de déterminer quels sont ceux qui présentent les meilleures aptitudes pour le travail sur troupeau. Les chiots indépendants, aventureux et spontanément attirés par d’autres animaux sont des candidats de choix. A quelques rares exceptions prés, il est peu envisageable de confier la mission de naisseurs à des éleveurs ovins ou caprins déjà bien trop occupés par leur troupeau et la non négligeable paperasserie française. Constituer un réseau d’éleveurs-naisseurs-éducateurs permettrait de redonner du sens à nos élevages et de fournir aux éleveurs utilisateurs des chiots déjà bien cadrés. Une telle démarche implique néanmoins de mettre au point un protocole d’élevage spécifique pour cette destination. Ce protocole devrait permettre de produire aussi bien des chiens de travail que des chiens de compagnie à partir de la même portée. Au-delà d’un simple aspect technique cette démarche collective devra, pour réussir, intégrer une juste rémunération, de la convivialité, de la joie, de la fierté, des fêtes, des rencontres qui mettent en valeur les chiens, leurs éleveurs et leurs utilisateurs.
Nous éleveurs ne sommes pas les propriétaires de la race chiens de Montagne des Pyrénées. Nous sommes les dépositaires d’un patrimoine transmis par nos aînés que nous avons le devoir de remettre aux générations futures sans l’appauvrir. Plutôt que penser individuellement il serait sage de penser plus collectivement, au-delà des intérêts personnels, pour l’avenir de nos chiens Montagnes. Leur permettre de retourner au travail pour lequel ils ont été sélectionnés depuis des millénaires serait sans conteste la meilleure chose que nous, éleveurs du 21° siècle, pourrions faire pour cette race magnifique dont les qualités doivent perdurer au sein de nos troupeaux, de nos montagnes et de nos familles.
© Mathieu Mauriès 2009