Marchand de chiens ou éleveur de patous sélectionnés ?RETOUR sur une vraie fausse bonne idée : faire de l’argent avec des chiens de protection
J’avais juste 6 ans lorsque j’ai acheté ma première brebis, une métisse, c’était dans la Crau ... Il y a cinquante ans et j’avais déjà la Passion du troupeau.
Mais commençons par le début, comme cela l’histoire sera complète. Un jour de juillet 2000, deux chiens domestiques ont attaqué mon troupeau de chèvres. Suite à cet évènement, j’ai perdu le sommeil, je dormais la fenêtre ouverte, au moindre bruit je sortais immédiatement pour aller voir mes bêtes. Bref l’enfer, et la crainte permanente de revivre ce cauchemar. Presque toutes les chèvres ont ensuite avorté, ce fut un désastre pour moi.
C’est de ce moment-là que vient ma première rencontre avec un patou, plus exactement une patou. Elle s’appelait SHAN et elle m’a plongé dans un monde de chiens que je ne soupçonnais pas, celui des chiens de protection. Depuis je reste chaque jour émerveillé par l’intelligence de ces incroyables chiens et leur dévouement à protéger mes 100 brebis, mes 12 chèvres et leur nombreux agneaux et chevreaux, sans oublier leur berger. Après SHAN est arrivé NUNO et bien d’autres qui ont donné naissance aux lignées de Montagne des Pyrénées du Hogan des Vents, mon élevage. Mes chiens sont ma joie et ma fierté. Je n’envisage plus, loup ou pas loup, la Vie sans ces grands chiens blancs qui m’accompagnent chaque jour depuis de si nombreuses années.
Quand je vois les conseils souvent donnés aux bergers lorsqu’un chiot fait des bêtises je suis consterné et attristé. Il s’agit ni plus ni moins que de maltraitance. Dès qu’il y a recours à la violence ou à des pratiques barbares comme attacher un pneu au collier d’un chiot pour soi disant le calmer (conseil donné par un soi disant grand spécialiste de la question que je ne nommerai pas) c’est que des choses importantes ont été oubliées ou ratées. C’est le résultat d’une grande incompréhension entre le berger et son chien de protection. Les chiens de protection ne sont pas des outils, ce sont des compagnons et c’est cette vision que je défends depuis des années avec force et conviction. Je ne vais pas jeter la pierre, je suis aussi passé par là à mes débuts et j’ai commis de nombreuses erreurs dont mes chiens ont fait les frais. Et justement je sais maintenant comment éviter tous ces drames et ces souffrances inutiles, tant pour l’homme que pour le chien. Dans au moins 9 cas sur 10 c’est l’humain qui a mis le chien en position de faire une faute. C’est à l’humain de prendre la responsabilité de ses actes et de leurs conséquences, comme le fait qu’un chiot va manger les oreilles ou la queue des agneaux. Et oui je comprends bien que cela est difficile à entendre. Pourtant quand le chiot ou le chien font une erreur, c’est toi l’humain qui est le premier responsable. Par exemple il ne faut jamais laisser sans surveillance un jeune chien avec des agneaux pendant ses deux premières années. Il n’est pas capable de gérer de telles situations. Pendant leurs deux premières années vous avez un chiot et pas un chien. Est-ce qu’on demanderait à un enfant de 8 ans de garder tout seul un troupeau de 2000 brebis ?
Il faut vivre avec ces chiens 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, et pendant des années pour comprendre leur fonctionnement. Il faut expérimenter au quotidien et tirer des leçons d’inévitables erreurs.
Aujourd’hui quand mes chiens font quelque chose qui me déplaît ... comme partir patrouiller dans la montagne... je sais que c’est ma faute parce que j’ai mal refermé une barrière ou pas réparé une clôture comme il le fallait. C’est TOUJOURS ma faute, alors je ne peux m’en prendre qu’à moi même. Les chiens eux, ils font leur boulot et ils le font bien, car mon troupeau n’a jamais plus été attaqué.
Pour autant, nul n’est pas obligé de refaire sans arrêt les mêmes erreurs, c’est pour cela que j’ai consigné dans un livre toutes mes expériences et toutes mes recherches sur les chiens de protection, particulièrement les Montagne de Pyrénées. Un livre que j’ai entièrement autofinancé afin d’être libre de ma parole et dont l’écriture s’est étalée sur une quinzaine d’années.
Voilà l’avant propos de mon livre qui traduit l’esprit dans lequel il a été écrit :
Ce livre a été rédigé pour ceux qui ont la passion du troupeau et des chiens, les éleveurs et les bergers. Il raconte des histoires vécues. Il propose, mais n’est pas un recueil de recettes ni de certitudes. Il permettra à chacun de prendre ce que bon lui semble pour améliorer la vie et l’efficacité de ces chiens blancs, les Montagne des Pyrénées, les patous. C’est aussi l’histoire de mes chiens. Ce qui est vrai aujourd’hui sera peut-être faux demain. Je chemine, j’étudie, j’observe, j’analyse, je partage.
Mes chiens et mon troupeau me parlent et, quand je les entends, je sais que nous ne faisons qu’un pour ma plus grande joie. J’avais six ans lorsque j’ai acheté ma première brebis au Mas de la Massuguière, une Mérinos d’Arles accompagnée de son agnelle de quelques jours. Elles ont été le début de mon premier troupeau de vingt cinq brebis, que j’ai vendu lorsque je suis parti faire mes études à Toulouse à Purpan.
Ma passion pour le troupeau n’a pas pris une ride depuis cinquante ans. Au milieu de mes brebis, de mes chèvres et de mes chiens, je suis le plus heureux du monde. C’est un privilège, une fierté et un bonheur d’être accompagné chaque jour par mes chiens Montagne des Pyrénées et je les en remercie.
J’ai découvert, après toutes ces années de vie commune avec mes chiens, que dans une relation d’Amour et de respect on obtient tout d’un chien et d’un troupeau. C’est l’Amour qui doit guider le chien et pas l’autorité, l’Amour pour son troupeau et l’Amour pour son berger.
Combien coûte un chiot de travail sélectionné pour ses aptitudes sur plusieurs générations ? Chez moi un chiot me revient à 1000 € - sur données comptables précises - et je suis loin de les vendre à ce prix là (sans compter le temps passé à leur éducation, et là c’est carrément cadeau !). Il faut au minimum 10 ans pour tester une lignée sur le travail. Certaines lignées présentent plus d’inconvénients que d’avantages et elles doivent être éliminées du travail. Pour avoir des chiens, équilibrés, efficaces au travail et en bonne santé, il faut bien les nourrir et cela coûte aussi très cher. Comme dans toute espèce animale la qualité a un prix et elle n’est pas le résultat du hasard. Mes chiens sont aussi élevés sans la moindre molécule chimique, de façon entièrement naturelle. Pour chaque chiot qui part de ma ferme, je peux donner le nom de ses 8 arrières grands parents, de ses 4 grands parents et bien sûr de ses parents. Parce que sans connaître les généalogies il n’y a pas de sélection possible.
J’assure le placement et le suivi des chiens nés sur ma ferme pendant toute leur vie. Chaque chiot quitte mon élevage identifié par puce électronique, avec sa laisse, son collier, un sac de croquettes premium de 17 kg, un passeport européen et son premier vaccin. Je suis toujours là pour répondre aux questions de ceux qui m’ont fait confiance pour prendre chez moi un chien de protection.
Je déconseille régulièrement de prendre un chien lorsque l’environnement ne s’y prête pas ou que le chien est considéré comme un simple outil. Un chien n’est pas un outil, il est un compagnon de Vie je le redis. Rien ne sert de placer un chien dans des conditions où il sera inévitablement mis en échec. Je refuse parfois de vendre des chiots pour cette raison. Former un chiot à la protection demande du temps et de la disponibilité. Depuis des années j’ai sans cesse amélioré le protocole d’éducation que je conseille au départ de mes chiots. Je ne place plus de chiot seul sauf s’il y a déjà dans le troupeau un adulte compétent pour l’éduquer et le protéger.
Qui peut dire combien de chiens de protection ont fini avec une balle dans la tête ? Beaucoup trop c’est sûr. C’est pour cela que je témoigne d’une expérience qui permettrait d’éviter des fins aussi tristes à des chiens qui auraient pu être de très bons protecteurs. Le meilleur des chiens peut être gâché par un berger qui n’a pas eu le bon mode d’emploi. Et malheureusement les mauvais modes d’emploi sont toujours en tête du hit parade en France notamment ceux qui ont une consonance américano-helvétique.
Vendre un chiot destiné à la protection d’un troupeau c’est vendre un potentiel de travail connu grâce à la sélection, mais pas un résultat. Par la sélection on sait à l’avance quel sera le comportement du chiot au travail car son comportement est prévisible avec une forte probabilité. Pour autant je ne connais personne qui puisse garantir un résultat.
L’efficacité de protection tient à la combinaison de 6 facteurs :
- Le patrimoine génétique du chien
- La méthode d’élevage du naisseur
- La méthode de mise en place
- Le travail en meutes structurées
- L’implication du berger
- Le suivi du placement
Si l’un de ces facteurs est défaillant, c’est tout le résultat qui sera défaillant. Considérer les chiens de protection comme des sous-produits sans valeur de l’élevage ovin est depuis toujours une erreur fondamentale. Les douze premières semaines vie du chiot, sous la supervision de leur naisseur, sont déterminantes pour sa future carrière de protecteur. Un chiot ne devrait jamais être séparé de sa portée avant trois mois. Lorsqu’un chien quitte ma ferme à trois mois, j’ai fait 60% du travail avec lui, mais il reste 40% à réaliser par le nouveau propriétaire pour que le chiot atteigne 100% de son potentiel génétique.
Pour 1000 € de coût de revient, je vends mes chiens aux bergers entre 400 et 800 € HT selon les circonstances. Les mêmes chiens, vendus pour la compagnie à des particuliers, par les éleveurs de ces races sont proposés entre 1000 et 1500 €. Bien sûr je ne gagne pas 1 centime dans l’histoire. Mais j’œuvre à la préservation d’un patrimoine génétique unique et j’en suis fier. Les chiens de protection ont accompagné les bergers depuis des siècles, même si cette réalité à été oubliée en France dans les 100 dernières années. Ils sont une composante essentielle du pastoralisme. Comme toutes les choses importantes de la Vie, cette satisfaction et cette joie, chaque jour renouvelée de vivre avec mes chiens et de les voir travailler, n’ont pas de prix. Je ne suis pas riche d’argent mais je suis heureux et c’est le plus important pour moi.
Et puis il y a les bergers qui m’appellent pour avoir des conseils parce que leurs patous bouffent les brebis... Et là je dis STOP car il y a un moment où il faut savoir ce que l’on veut : protéger un troupeau de façon efficace avec des chiens sélectionnés pour ce travail ou rechercher des chiens bon marché. A chacun de faire un choix et de l’assumer car des chiens issus d’un travail de sélection sur plusieurs générations ne peuvent pas être proposés à des prix dérisoires. Il faut aussi reconnaître que l’état français ne favorise absolument pas l’acquisition de chiens de protection de qualité lorsqu’il propose 375€ de subvention pour l’achat d’un chien. Enfin je précise aussi que je ne suis pas LE centre de renseignements sur les chiens de protection pour ceux qui voudraient avoir un résumé du mode d’emploi en 5 minutes ou en 2 lignes de Facebook. Je travaille tout seul sur ma ferme et je ne suis pas à la disposition des gens. La moindre des politesses est de se renseigner sur ma disponibilité et de prendre rendez-vous.
Du patou, le Montagne des Pyrénées, j’ai découvert les autres races de chiens de protection, les Sarplaninac chez Louise, les Mâtin Espagnol chez Gregorio Abelgas et Brenda qui élèvent aussi des Mâtin des Pyrénées pour le troupeau, la collaboration entre les chiens de protection et les ânes chez Cat et Steve, les Kangal chez Anne, les Carpatins chez Ray Dorgelo... Un monde de chien qui m’a passionné au point que les Mâtin Espagnol et les Kangal sont venus rejoindre ma meute il y a quelques années. Ils ont apporté une autre dimension à mon travail de sélection. J’ai testé des croisements et je peux donc en parler. Mon objectif premier reste cependant d’élever en race pure car toutes les races de chiens de protection sont issues de centaines d’années de sélection sur le travail. Il ne s’agit pas de les réinventer mais de conserver et de diffuser leurs qualités originelles.
Dans le troupeau, il ne faut pas vouloir aller trop vite et demander trop aux chiots les poussant par la même à commettre des fautes dont ils ne sont pas responsables. Un chiot c’est au minimum deux ans de formation. Mais ce n’est pas tout, il faut aussi rajouter deux ans d’expérience à acquérir ensuite sur le terrain pour qu’il maîtrise son environnement extérieur. Pour dire que la performance d’un chien de protection ne devrait pas être évaluée avant ses 4 ans. Et oui cela prend du temps, et il n’y a pas de raccourcis possibles.
A ce jour j’ai placé prés de 150 chiens de protection dans des troupeaux dont les trois quarts en dehors de zones à loups. Il y a des bergers qui investissent volontairement et n’hésitent pas à faire des centaines de kilomètres pour avoir de bons chiens. Il n’y a pas que les loups qui attaquent les troupeaux ou détruisent les clôtures, il y a les renards, les sangliers, les blaireaux et les deux pattes sans compter les rapaces contre lesquels les chiens sont aussi efficaces.
Pour terminer voilà une petite visite en photos de ma ferme, voilà MES chiens, voilà MES chèvres et voilà MES brebis. Et pour répondre à ceux qui me reprochent de gagner de l’argent en vendant des chiots et bien je vous le dis clairement, NON on ne gagne pas d’argent à élever des chiens de protection en France. Ceci dit pour moi, le Bonheur avec un grand « B » c’est MON troupeau et MES chiens.
© Mathieu Mauriès 2017