Quelle sélection pour les chiens de protection ?
Illustration sur mon groupe génétique Mâtin Espagnol



Dans un monde où la technologie est omniprésente y compris dans le milieu du chien, j’ai décidé de travailler sans elle, à l’image des générations de bergers qui m’ont précédé. Ils ont créé les extraordinaires races de chiens de protection que nous connaissons aujourd’hui sans tests génétiques et sans radio des hanches ou des coudes, uniquement sur leur instinct et la capacité des chiens à remplir une fonction bien précise : protéger leurs troupeaux. Je m’inscris dans cette lignée avec cependant une approche scientifique compte tenu de mon expérience de chercheur, les deux choses n’étant pas incompatibles.

Les critères sur lesquels je sélectionne mes chiens et particulièrement mes reproducteurs sont: le gabarit, la qualité de la fourrure, la dentition, le contrôle de l’aboiement, la prolificité [le nombre de chiots nés par portée. Important car la reproduction est la première fonction touchée lorsqu’une race dégénère] et les qualités maternelles évaluées à travers le taux de survie des chiots. J’utilise un autre critère, indispensable mais plus difficile à quantifier, qui est l’efficacité au travail. Ce dernier critère est évalué directement et qualitativement par le berger sur des chiens de plus de 2 ans, c’est-à-dire considérés comme pleinement opérationnels dans le travail.

L’agressivité recherchée par certains ne fait absolument pas partie du registre comportemental d’un chien de protection et pose d’ailleurs de nombreux problèmes dans l’environnement actuel des troupeaux fréquenté par les « consommateurs » de Nature. Un chien de protection analyse les situations et agit en conséquence. Ce n’est pas un chien qui réagit de façon instinctive.

Pour autant dans une démarche de sélection rigoureuse il faut avancer pas à pas. Ainsi dans un accouplement déterminé il faut choisir un seul critère à améliorer en espérant ne pas dégrader les autres caractéristiques souhaitables des chiots à venir. Il est illusoire de vouloir améliorer simultanément plusieurs critères. La sélection est un travail de longue haleine. Avant de sortir le chien idéal dans une lignée reproductible (une lignée dont l’apparence et le comportement des chiots sont hautement prévisibles) il faut bien compter une vingtaine d’années. La sélection n’est pas faite pour les gens pressés, c’est l’œuvre d’une vie.

La sélection ne peut se faire que sur des critères qui ont une réalité biologique puisqu’elle concerne la reproduction d’êtres vivants.

Les programmes de sélection concernant les chiens de travail doivent être basés sur des données mesurables tant sur le plan de la morphologie, que sur des critères liés à la reproduction et au comportement.

La fonctionnalité d’un chien de protection doit être impérativement évaluée dans son milieu de travail au sein de son troupeau. Dans un but d’amélioration génétique il est important que les chiens soient confrontés les uns aux autres afin de distinguer les meilleurs types et de favoriser leur reproduction. Il s’agit là d’un autre type d’évaluation, réalisée dans un lieu de regroupement hors des troupeaux. Cette évaluation basée sur des critères physiques devra absolument intégrer l’évaluation de la fonctionnalité réalisée antérieurement afin d’obtenir une note de synthèse pour chaque chien permettant de les classer les uns par rapport aux autres, par sexe et classes d’âge.

Il est à ce sujet très important de comprendre qu’un schéma d’amélioration génétique adapté au travail n’est en rien incompatible avec le fait que des chiots partent à la compagnie. Ils peuvent d’ailleurs constituer un revenu d’appoint intéressant pour les bergers. Des chiens sains et équilibrés peuvent protéger des troupeaux ou être d’excellents compagnons de famille si leurs besoins vitaux sont respectés.


Le croisement entre races pures : hérésie ou pas hérésie ?

Le concept moderne de « race » conduit à de nombreuses impasses sur le plan biologique lorsque la standardisation des chiens est poussée à outrance. Il serait plus pertinent de parler de populations animales spécifiques à un milieu. Tous les bergers ne vivent pas dans les mêmes contextes, il est donc intéressant de pouvoir proposer différentes solutions et différents types de chiens pour répondre à leurs besoins de protection. Paradoxalement l’étude des croisements permet de mieux connaître les caractéristiques intrinsèques des races pures parentales.

J’ai testé des combinaisons de races pour une première raison qui est de faire ressortir et identifier les caractéristiques des races pures qui sont nettement visibles sur les chiots croisés. C’est une démarche de recherche. Par exemple l’infusion de sang Montagne des Pyrénées dans le Kangal adoucit fortement le caractère tout en donnant une morphologie très proche de celle du Kangal qui marque beaucoup physiquement sur sa descendance. Le tempérament doux du Montagne des Pyrénées est donc une caractéristique fondamentale de la race.

En sélection canine les infusions de sang ne sont pas si rares. Qui se souvient que le Montagne des Pyrénées a été utilisé chez le Saint Bernard ou encore chez le Terre Neuve lui-même utilisé dans le Bouvier Bernois ? Idéaliser la « pureté » de la race est un concept anti-biologique et une absurdité totale. Pour autant il faut préserver autant que peut se faire nos races primitives, telles que les Chien de Montagne des Pyrénées, afin qu’elles ne soient pas polluées par des chiens qui n’ont aucune aptitude à la protection.

Les croisements permettent de revitaliser une race ou de l’améliorer sur des points précis. C’est le cas lorsque j’introduis du sang de Montagne des Pyrénées dans mon « pool génétique » Mâtin Espagnol. Mon objectif est de donner plus de hauteur et un peu moins de lourdeur aux descendants tout en conservant le caractère placide du Mâtin qui est un véritable atout dans certaines situations de travail. A cette fin j’ai « fabriqué » des femelles F1 (croisement de première génération entre 2 races pures) qui seront ultérieurement accouplées avec des mâles Mâtin Espagnol de même que tous leurs descendants.

Dans cette stratégie de sélection, seules les femelles F1 sont conservées pour la reproduction, les mâles croisés ne sont destinés qu’au travail de protection et ne devraient pas reproduire. Cette infusion de sang étranger ne se fait que sur une seule génération et ne sera pas renouvelée.

Depuis des années je constate que mes chiennes en chaleur, si elles en ont la possibilité, recherchent systématiquement à s’accoupler avec un mâle d’une autre race. C’est un peu comme si elles connaissaient déjà tout l’intérêt d’accroître la variabilité génétique dans leur population. Et peut-être le connaissent-elles !

La génétique au sens strict ne fait pas tout. L’Art de l’éleveur et son intuition sont nécessaires pour exprimer pleinement le potentiel génétique à travers des pratiques d’élevage éclairées.

© Mathieu Mauriès 2017


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