Qu’est-ce qui ne tourne pas rond chez le chien de race en France ? Du travail à la compagnie, histoire d’une dangereuse dérive qui ne dit pas son nom. Illustration avec les chiens pyrénéens et quelques autres.

Mathieu Mauriès © 2020 (1)
 
« Personne n’est plus détesté que celui qui dit la vérité »
Platon

RENDONS A CESAR CE QUI EST A CESAR

La sélection paysanne est à l’origine de tous nos chiens pastoraux qu’ils soient de protection, les plus anciens, ou de conduite, les plus récents. Les bergers n’avaient pas fait de grandes études mais ils possédaient un vrai bon sens paysan. Un bon sens acquis par l’expérience sur leurs troupeaux et leurs chiens, et par la transmission des savoirs de génération en génération. Dans le monde du chien, le bon sens paysan n’a plus sa place … parti sans laisser d’adresse comme je le raconte dans mon article de 2018 « Les chiens de race sont en bonne santé et la terre est plate ». (2)




Berger et sa meute de chiens de protection

(photo Latif Latifi, Tadjikistan)

En France la plupart des éleveurs de chiens n’ont pas fait non plus de grandes études dans le domaine des sciences de l’élevage mais force est de constater qu’ils n’ont pas non plus le bon sens Paysan. Cela a conduit à une invasion phénoménale de croyances chez les chiens dits de race. Même si ce terme de « race » n’a aucune réalité biologique puisqu’il est juste une norme fixée par l’humain. La meilleure preuve en est que toutes les races peuvent se croiser naturellement et donner naissance à des chiots sauf les extrêmes morphologiques tels que le chihuahua et le dogue allemand.
 
Tous les chiens descendent du loup, c’est un fait indéniable. Et la création des races canines résulte d’un long processus de sélection conduit par les humains pour créer des chiens répondant à différentes fonctionnalités. De la fonction découle une morphologie, et un tempérament, fixés dans le temps par sélection. N’oublions pas cependant que les morphologies fonctionnelles, qui ont fait leurs preuves, sont celles du loup, du coyote et du renard. Dès que les éleveurs s’éloignent de ces modèles, les ennuis commencent.





Le loup, le modèle à suivre en termes de morphologie …

mais pas que concernant les chiens de protection

Vous l’oubliez un peu vite mais ce sont les bergers qui ont créé et sélectionné le petit berger et le Montagne des Pyrénées, sans test ADN, sans radio de dysplasie des hanches, des coudes et sans tous les tests à la mode ... Comment ? Simplement en les faisant travailler – leur fonction première – et en conservant les meilleurs travailleurs pour fabriquer la génération suivante.




Bambou, Montagne des Pyrénées (1908) 1er prix en exposition canine … De nos jours il se ferait directement sortir du ring !

Il est impératif de revenir aux fondamentaux et de ne pas se laisser éblouir par une technologie qui n'est que de la technologie. Technologie qui ne peut en aucun cas, et je le souligne en tant que scientifique et éleveur, améliorer quoi que ce soit dans la sélection de chiens dits de travail. La technologie n’est qu’un outil. Et son utilisation est de nos jours totalement dépravée. Un chien de travail c’est avant tout une fonction et non pas une apparence.




Grand chien des Alpes (1863) aujourd’hui disparu,

un chien fonctionnel

Mettre en avant la rusticité du Montagne ou du petit berger des Pyrénées, c’est ne pas oublier qu’ils ont été l’objet d’une sélection impitoyable dont le résultat est justement une rusticité à toute épreuve … ou était ? Il faut sérieusement se poser la question.



Les travaux de Temple Grandin aux USA démontrent qu’un facteur déterminant dans la construction du tempérament d’un animal est son expérience de la vie. Les premières expériences du jeune au contact de sa mère, des humains et des autres animaux déterminent la façon dont il se comportera plus tard face aux personnes, aux animaux, aux lieux et aux objets.

Loin de la sensiblerie du monde moderne, complètement déconnecté des réalités de la Vie, la sélection élimine de la reproduction, et c’est sa définition, tous les chiens qui ne sont pas aptes à remplir leur fonction. Les mots « sélection naturelle » et « mort » sont devenus tabou dans les sociétés occidentales alors qu’ils sont à l’origine de la vie. La mort c’est la vie et la vie c’est la mort. En biologie l’immobilisme c’est la mort, le changement c’est la vie car la vie est sans cesse en évolution. Le monde occidental est malade de ses excès et de son arrogance, et les chiens de race font partie de ses nombreuses victimes.






Le bon sens, la science et l’éthique ont déserté le monde du chien en France. Par contre la bassesse, l'incompétence, la délation et le commérage vont bon train … Pauvres chiens, victimes de la folie humaine.

Nous vivons dans un monde de normes et la norme tue la créativité et l’Amour du métier.

Je constate qu’il y a une rupture nette entre le pastoralisme et ses chiens, et ce monde des clubs de races qui s’approprient leur héritage en les excluant. Des personnes qui n’utilisent pas des chiens de travail dans leur fonction première, voire qui l’évitent délibérément, se trouvent décideurs de l’avenir de ces chiens au passé séculaire si ce n’est millénaire. Oui on marche sur la tête.

Les éleveurs de chiens des Pyrénées, Berger et Montagne, auraient pu prendre une part active à la conservation et au développement des chiens de travail sans pour autant défavoriser la filière des chiens de compagnie. C’était d’ailleurs en 1923 le vœu des fondateurs du club de race qui l’ont explicitement mentionné dans les statuts de la Réunion des Amateurs de Chiens des Pyrénées (RACP) dans son article 5 « La R.A.C.P. a pour objet d'améliorer les races des chiens pyrénéens … et d'en encourager l'élevage, de contribuer à leur promotion, de développer leur utilisation ».
En 2020 le bilan de la RACP relativement à cet article 5 est désastreux. En 100 ans aucune amélioration, et plutôt une détérioration de ces chiens rustiques notamment au niveau du mental. Quant à développer leur utilisation … La RACP répond aux abonnés absents depuis fort longtemps.
Pourtant prés de 85 % des chiens de protection recensés en France sont déclarés comme type « Montagne des Pyrénées ». Mais moins de 4 % d’entre eux sont inscrits au LOF.

La rupture est claire et nette entre le monde agricole utilisateur de chiens de travail et la RACP et ses éleveurs adhérents. Ils auraient pourtant pu être des acteurs incontournables dans ce domaine du chien de protection et du chien de conduite pyrénéens.

Avec le recul des années je trouve cela extrêmement regrettable et même irresponsable de la part de ceux qui ont volontairement provoqué cette coupure avec le monde réel des chiens de travail pour privilégier un monde d’apparence et de compétition totalement artificiel.

Découvrez mon analyse humoristique des expositions canines dans mon article de 2016 « Les expositions canines pour les nul(le)s » (2). Encore une fois nous marchons sur la tête à l’image de la société toute entière qui méprise et condamne ceux qui la nourrissent comme les bergers utilisateurs de chiens de conduite et de protection.

Nécessité faisant loi, les bergers ont repris en main leur patrimoine canin de façon empirique. Et comme leurs prédécesseurs ils en seront les meilleurs gardiens. Le champion Montagne des Pyrénées, dans la vie réelle, c’est celui qui repousse le loup ou l’ours. Peu importe qu’il lui manque une dent ou un ergot.

Le sacro saint terme de « race pure » n’est dans la réalité biologique qu’un mélange de gènes homogénéisé. Cette appellation de « race pure » est une hérésie scientifique si tant est que l’on puisse parler de science sur ce sujet. NON dieu n’a pas créé le Montagne ou le berger des Pyrénées tels qu’ils sont décrits dans le standard de 1923. Depuis leur lointain ancêtre le loup, ils sont le résultat d’un long processus de sélection qui ne sera jamais terminé parce que la vie est sans cesse en mouvement. Sacraliser le standard c’est oublier que le chien est avant tout une fonction. C’est se focaliser sur des détails en oubliant l’essentiel.





Un dessin de 1889 devenu tristement une réalité en 2020

Un chien de travail ce n’est pas une question de race c’est une question de sélection. Les meilleurs chiots ne sont pas produits par les meilleurs chiens mais par les meilleures combinaisons ou mariages.

La survie à long terme d’une population ou d’une race de chiens résulte d’un savant équilibre entre l’utilisation dans le temps de la consanguinité (inbreeding) qui donne l’homogénéité au groupe et de la retrempe avec d’autres races (outbreeding) qui permet  de maintenir la vitalité de la population.

ODIN et OSIRIS du Hogan des Vents sont génétiquement 50 % Montagne des Pyrénées 25 % Kangal 25 % Dogue du Tibet. Ils sont la parfaite illustration de la retrempe (outbreeding) nécessaire au maintien de la vitalité. Leur phénotype, c’est-à-dire leur aspect extérieur, reste très marqué par le Montagne des Pyrénées.

C’est exactement le type de chien qui devrait être utilisé dans la population des Montagne des Pyrénées LOF pour augmenter la variabilité génétique sans perdre les caractéristiques du Montagne tant physiques que mentales et fonctionnelles puisque ces chiens travaillent au troupeau. Les situations d’introduction des chiens de protection sont plus ou moins faciles et favorables à leur implantation au sein d’un nouveau troupeau. En l’occurrence ODIN et OSIRIS ont été placés dans un système plein air intégral avec un troupeau de brebis ne connaissant pas les chiens de protection. 

C’est certainement la situation la plus compliquée pour introduire des chiens de protection. L’apprentissage, tant pour les chiens que leur bergère, se révèle être un vrai challenge. Avec le recul je ne pense pas qu’il soit souhaitable d’introduire des chiots sans adulte(s) dans de telles situations.





Après le cas d'ODIN et OSIRIS du Hogan des Vents comme potentiels apporteurs de variabilité génétique chez les Montagne des Pyrénées LOF, voici leur frère ORGOS du Hogan des Vents, né dans la même portée. Compte tenu de l'utilisation d'un croisement à double étage dans cette combinaison (maman est Kangal x Dogue du Tibet et papa est un pur Montagne des Pyrénées) différents phénotypes s'expriment chez les chiots. Tout cela pour dire qu'ORGOS, vu son apparence, serait lui un excellent candidat pour renouveler la génétique du Dogue du Tibet en France. Il y a très peu de Dogue du Tibet en France et le pool génétique est extrêmement réduit. La retrempe est une nécessité pour maintenir cette population sur le moyen et le long terme.

CHIENS DE TRAVAIL OU CHIEN DE COMPAGNIE ? NE NOUS TROMPONS PAS DE SENS

Pour comprendre nos chiens il faut en revenir à l'histoire de chaque race et à la fonction qu'ils occupaient et occupent encore pour certaines. Pour les races pastorales qui travaillent à la conduite ou à la protection des troupeaux, la sélection doit se faire au travail. Ce qui n'est pas incompatible avec le fait que certains chiens deviennent chiens de compagnie si leurs besoins vitaux sont respectés. Il y a un sens à respecter. Il est possible de produire des chiens de compagnie issus de lignées de travail mais l’inverse est devenu faux. Sur le long terme la sélection de chiens de compagnie uniquement est incompatible avec la sauvegarde de la fonctionnalité au travail.

Bien sûr tout ceci dans l'optique de conserver un patrimoine génétique issu de centaines d'années de sélection. Je considère que si le comportement d'une race particulière est profondément modifié alors il faut en changer le nom car on n'a plus à faire au même animal. C’est une question d’éthique et d’honnêteté.

L’ILLUSION TECHNOLOGIQUE

Quand les croyances dégomment la Science

Le bon sens, la science et l’éthique ont déserté le monde du chien en France. Par contre la bassesse, l’incompétence, la délation, le commérage et la calomnie vont bon train …

Confondre les outils de la sélection avec l’objet de la sélection est absolument dramatique :

NON vous faites de la sélection parce que vous faites des tests ADN.

NON vous ne faites pas de la sélection parce que vous faites des radios pour la dysplasie des coudes ou des hanches.

NON vous ne faites pas de la sélection parce que vous testez chez vos chiens toutes les maladies de la terre ou presque.

NON vous ne faites pas de la sélection parce que vous faites grimper votre chienne par deux mâles différents …







La cynophilie moderne résumée en une seule photo ... Pure folie ... La maltraitance institutionnalisée.

Faire de la sélection c’est pouvoir afficher un programme de sélection. Et un programme de sélection donne une valeur génétique quantitative à chaque individu de la population concernée. Les individus peuvent ainsi être comparés les uns aux autres et à la moyenne de la population. Ceux dont les performances sont supérieures à la moyenne de la population sont dits améliorateurs si leur descendance confirme ce fait.

La SCC liste pas moins de 222 tests disponibles concernant le système auditif, le système cardiovasculaire, le système cutané, le système digestif, le système endocrinien, le système immunitaire, le système musculaire, le système osseux, le système nerveux, le système oculaire, le système respiratoire et le système urinaire chez le chien dit de race … Nous sommes dans un délire technologique absolu. Et il est à craindre que ces tests fassent encore bien des petits … et voilà qu’au royaume des tests nous est maintenant vendu le test génomique soi disant une véritable révolution pour le chien de race. Permettez-moi d’en douter fortement.

Les chiens de protection du Hogan des Vents ne subissent AUCUN test si ce n’est celui du travail au troupeau.






DHARA Soum du Prat d’Ourey au travail

Selon les races de chiens, les éleveurs testent pour une ou plusieurs maladies. Ce n’est pas pour autant qu’ils testent l’état de santé des chiens.

En effet faire des tests ne garantit pas un chien en bonne santé. Et un chien n’ayant subi aucun test peut être en très bonne santé. Il est impossible de tester pour une bonne santé globale du chien. Les tests ne peuvent déceler que des individus porteurs de maladies. La longévité est par contre un bon indice de la santé globale.

Chez les Montagne des Pyrénées de lignées d’exposition apparaissent maintenant des problèmes de reproduction chez des mâles présentant d’évidents manques de libido. Au point que le recours à l’insémination artificielle devient obligatoire … Pour des chiens dits rustiques ? Et qui bien sûr ont réussi avec succès tous leurs tests de santé … Cela devrait éveiller les consciences car un drame se profile à l’horizon.





DIVA du Hogan des Vents (12 ans)

Bientôt ce n’est plus un pedigree qui sera délivré pour un chiot mais un classeur. C’est une erreur fondamentale de découper un chien en petits morceaux et en autant de tests. Un chien doit s’appréhender dans sa globalité et se sélectionner dans cette globalité. Temple Grandin a lourdement insisté sur ce point (3). Elle a par exemple démontré que chez les poules pondeuses la sélection orientée uniquement sur la production d’œufs a conduit à transformer totalement le comportement des coqs. D’un comportement normal qui est de faire la cour à la poule avant de la cocher, ils sont devenus violeurs et tueurs de poules.

Pas un seul éleveur n’oserait présenter en exposition une chienne avec des mamelles visibles, et pourtant c'est juste naturel, normal et indispensable qu'une chienne puisse allaiter ses chiots ... Une situation ubuesque dans laquelle la morphologie et la fonctionnalité de la mamelle sont passées à la trappe. Au final cela revient à sélectionner des chiennes incapables de nourrir leurs chiots et à cette pratique aberrante de biberonner les chiots soi disant pour soulager la chienne. Une chienne incapable d’allaiter ses chiots est simplement une mauvaise candidate pour la reproduction. Aucune de ses filles ne devraient être conservées pour l’élevage, et encore moins si les chiots sont nés par césarienne.

Le monde du chien a ceci d’extraordinaire qu’il est, pour sa grande majorité, composé par des éleveurs dits « amateurs » donc par définition des non professionnels même si la législation a changé la donne.
Pour autant faut-il jeter la pierre aux éleveurs de chiens qui élèvent majoritairement par passion ? Et bien non car il n’existe en France aucune formation leur permettant d’acquérir de réelles compétences en élevage canin.

Sur Facebook tout le monde est devenu Expert en chiens et en comportement canin voire en médecine vétérinaire. Sur le sujet je vous conseille cette excellente vidéo des Chroniques d’une éleveuse bancale :

https://www.facebook.com/chroniqueseleveusebancale/videos/380075589602734/

Aujourd’hui sur les réseaux sociaux, la voix d’un professionnel du chien n’a pas plus de poids que celle d’un parfait incompétent. Cela donne lieu à la diffusion d’une avalanche de croyances et de conseils qui n’ont aucun fondement scientifique.

Il n’est pas nécessaire pour devenir éleveur de chiens de posséder une formation en zootechnie. C’est un comble lorsque sont ensuite revendiquées sélection et amélioration des races canines. Pour les animaux dits de rente (bovins, ovins, caprins, porcins, volailles et autres espèces domestiques) la grande majorité des éleveurs sont des professionnels. L’installation comme éleveur requière de posséder au minimum un Brevet Professionnel Responsable d’Entreprise Agricole (BPREA) résultant d’une formation académique et de stages en fermes. Mais le niveau de formation des éleveurs est aujourd’hui souvent plus élevé et les titulaires de Brevets de Technicien Supérieur (BTS) ou de diplômes d’ingénieur ne sont pas rares.

« La connaissance s'acquiert par l'expérience, l'abnégation, la persévérance

et la volonté déterminée de briser les voiles de l'illusion. »

Yves Chouard

Sans formations sérieuses, la cynophilie moderne est en train de mourir de ses croyances. Ses faux prophètes ont pris la place de la science. A grand renfort de discours pompeux et vides de sens ils condamnent l’avenir de nos chiens. Je ne peux que déplorer l’absence totale d’approche scientifique dans la sélection du chien alors même qu’elle est largement utilisée chez tous les autres animaux domestiques pour leur sauvegarde et leur amélioration. Depuis 28 ans que le loup est de retour en France, il n’y a toujours aucun programme de sélection pour les chiens de protection … En soi un vrai scandale dont les bergers et les brebis sont les premières victimes.

Le bon sens paysan a vraiment disparu de la circulation. Il ne faut pas oublier que ce ne sont pas les diplômes qui font l’intelligence. Le bon sens peut largement rivaliser avec la science et c’est à lui que nous devons la très riche variété de nos animaux domestiques.

Pour un certain nombre de races comme le Bouledogue français ou le Lhassa Apso (4) par exemple, le chien handicapé est devenu la norme. Cela est inacceptable sur un plan moral.

QUELQUES EXEMPLES DE CROYANCE SANS FONDEMENTS AUCUN

Un exemple de croyance très significatif qui conduit à la mise en place de normes : il ne faut pas faire reproduire une chienne à ses premières chaleurs.

Existe-t-il une étude récente ayant comparé l’impact de l’âge à la saillie (première, deuxième ou troisième chaleur) sur la vitalité des chiots, le nombre des chiots, et le développement et la carrière ultérieure de leur mère ? NON aucune étude n’a jamais été conduite en ce sens.

En fait ceci n’est pas tout à fait exact. Dans son excellent ouvrage de 2019 - que je recommande à tous les éleveurs de chiens – « Dire Wolf Project, Creating an Extraordinary Dog Breed » [Créer une race de chiens extraordinaire] Jennifer Stoeckl explique le processus de sélection mis en œuvre dans ce projet pour obtenir des chiens de compagnie en bonne santé avec un excellent tempérament et une bonne longévité.
Dans ce projet qui dure depuis 30 ans (naissance de 400 portées) elle précise que toutes les chiennes sont saillies à leurs premières chaleurs afin d’accélérer la transmission du progrès génétique. Elle apporte également les références bibliographiques suivantes sur ce sujet très controversé voire tabou.

Leon Whitney, vétérinaire dans les années 1930, aborde le sujet dans son ouvrage « Breeding better dogs » [Elever de meilleurs chiens]. Il a réalisé une étude scientifique très précise décrivant chaque chienne, leur âge, le nombre de chiots qu’elles mettaient au monde et la facilité de mise bas. Après avoir élevé des centaines de chiens, il a conclu qu’il n’y avait aucune différence significative que les chiennes reproduisent à leurs premières chaleurs, les deuxièmes ou les troisièmes chaleurs.

Dans les années 1950 le Dr vétérinaire Kyle Onstott aborde aussi le sujet de façon plus diplomatique dans son livre « Art of breeding dogs » [L’Art d’élever des chiens]. Je cite « Le sujet de l’âge de la mise à la reproduction des chiennes fait l’objet d’une évidente désinformation. Les conseils qui sont donnés n’ont aucune base scientifique. L’âge à la reproduction est uniquement conditionné par le fait que les chiennes soient sexuellement mâtures et en bonne santé. ».

Si on considère l’espèce loup, les louves ne déclarent pas d’œstrus au même âge que les chiennes. La domestication a significativement modifié la physiologie des chiens les rendant plus précoces. Néanmoins, à l’état sauvage, les louves se reproduisent bien à leurs premières chaleurs. Ce n’est que depuis un peu plus d’un siècle que la reproduction aux premières chaleurs des chiennes nous pose des problèmes de conscience … sans aucun fondement scientifique.

Dans mon expérience j’ai eu plusieurs chiennes qui ont été saillies involontairement et parfois volontairement à leurs premières chaleurs. Je n’ai observé aucun effet négatif sur les chiots ou sur les chiennes qui se sont comportées en parfaites mamans. Et cela n’a en rien compromis leur développement.

En élevage la première règle est qu’il n’y a pas de règles. Si la science apporte des informations, c’est à l’éleveur de prendre les décisions selon la force vitale ressentie chez les animaux. Mais cette force vitale ne se mesure pas, ni en centimètres ni en kilogrammes ou en quelque autre unité de mesure. Elle relève de l’Art de l’éleveur et de son expérience.

Avec le recul, je dirais que pour produire une bonne chienne de reproduction c’est-à-dire avec de bonnes qualités morphologiques, mentales et maternelles, il faut en produire au moins quatre. Le succès est loin d’être automatique. L’élevage est l’œuvre d’une Vie avec ses hauts et ses bas. Monter un cheptel de reproducteurs demande au moins 10 ans … Bien des affixes ne durent pas aussi longtemps. Etre éleveur demande une grande force morale et beaucoup de persévérance.





GIULIA du Hogan des Vents

Par contre sélection on arrive à des situations aberrantes comme celle des mâles bulldog anglais incapables de saillir naturellement et des chiennes bulldog anglais incapables de mettre bas naturellement cela impliquant insémination artificielle et césariennes systématiques. L’humain dans sa folie a réussi à créer un chien totalement artificiel incapable de survivre sans assistance technique. Mais tout cela a un prix et ces pauvres bulldog anglais souffrent d’une liste de troubles terrifiants dont une détresse respiratoire permanente et une longévité très réduite. C’est aussi le cas de la plupart des Bouledogue français LOF. En un siècle les races de chiens ont été profondément modifiées et pas pour le meilleur.




Saint Bernard (1913) en l’espace d’un siècle les éleveurs ont profondément modifié les chiens en oubliant totalement leurs origines. Qui reconnaîtrait aujourd’hui des Saint Bernard sur cette photo ?

Autre croyance : vendre des chiots à huit semaines ne poserait aucun problème dans le développement ultérieur du chiot. FAUX archi FAUX. La légalité et le bon sens sont deux choses bien différentes. Entre deux et trois mois les chiots connaissent un extraordinaire épanouissement au sein de leur meute. Encore faut-il qu’ils soient autorisés à partager le quotidien des adultes.

Pour moi il est essentiel que les chiots restent au moins 3 mois avec leurs parents et leur meute. Car les chiots apprennent en imitant les adultes et en jouant entre eux.

TEMOIGNAGE

Je confirme !!! Pour la petite histoire, des chiots Bouledogue français récupérés à 2 mois dans d'autres élevages ont toujours insupporté Feng, mon mâle Sharpei ... mais à un point que même encore aujourd'hui qu'ils sont adultes, il les envoie continuellement bouler et supporte à peine d'être approché par eux. Alors que les 2 petits pris à 3 mois qui viennent de chez Mathieu n'ont pas du tout eu la même approche du vieux Feng et vice versa. Là où avec les autres, Feng doit en permanence donner des coups de gueule, avec Oudi et Piper, ce ne sont que jeux, entente et respect mutuels.

Le sens de la hiérarchie était acquis à 3 mois, alors qu'à 2, non seulement il ne l'était pas à l'époque, mais quelque chose cloche au point de le rester, vraisemblablement, à vie ...

Le milieu pastoral n’échappe pas non plus à ces croyances infondées. Il est fréquent de considérer qu’un seul chien de protection peut protéger un troupeau, quel que soit sa taille. Cela est bien sûr faux. Je l’explique en détail dans mon article de 2016 « De la nécessité de créer des meutes de chiens de protection » (2).
Donner à manger aux chiens de protection de la viande d’agneau ou des placentas les inciterait plus tard à tuer des agneaux pour se nourrir. C’est encore une fois totalement faux comme je l’ai démontré à de multiples reprises avec mes propres chiens. 





Montagne des Pyrénées en train de consommer un mouton mort

De nombreuses croyances sont même issues de travaux dits scientifiques (de très mauvaise qualité). Toute la science n’est pas de la bonne science. Et la science ne demeure qu’une vision très partielle de la réalité.

Une des pires croyances concernant les chiens de protection est le fait d’interdire aux bergers de toucher un chiot destiné à la protection des troupeaux. Etre bienveillant avec le chiot augmenterait le risque qu’il s’attache à l’humain et pas au troupeau. C’est encore une fois totalement faux. Le dit attachement au troupeau est un trait génétique sélectionné depuis des siècles chez les chiens de protection et il n’a pas besoin d’être créer par des méthodes qui créent plus de problèmes qu’elles n’en résolvent. Et personne parmi les promoteurs de cette méthode n’a jamais pensé à consulter des éthologues pour avoir un avis éclairé de spécialistes du comportement. Je condamne fermement ces méthodes de mise à l’isolement des chiots depuis des années.

La pire des croyances est sans aucun doute celle qui imagine que la technologie va nous sauver du désastre. Le bon sens Paysan sans aucun doute, mais la technologie n’est qu’une vaste illusion. Notre civilisation est en train de s’effondrer et le milieu du chien en France en est le reflet saisissant.

« Le professeur le plus sage et le plus noble est la nature elle-même »
Léonard De Vinci

Si vous voulez élever vos chiots correctement et les préparer à leur future vie, regardez comment les loups élèvent et protègent leurs louveteaux.

LA FORMATION DES ELEVEURS CANINS … AUX ABONNES ABSENTS

A se demander si certaines institutions ne maintiennent pas volontairement les éleveurs de chiens dans l’ignorance afin de leur faire dépenser de l’argent pour un résultat plus que douteux ?

Par exemple, il n’existe en France aucun équivalent de l’Institut de Biologie Canine des USA https://www.instituteofcaninebiology.org/. Cet institut propose des cours approfondis Online aux éleveurs de chiens sur des sujets variés, enseignés par des titulaires de doctorats de sciences (et non des vétérinaires) : génétique des populations chez le chien, gestion génétique pour le futur, génétique et performances chez le chien, stratégies de reproduction en élevage canin, hérédité et génétique … ainsi que des cours de base sur la biologie du chien ou des cours sur l’origine de la dysplasie par exemple.

Il est effarant de voir qu’en France aucun cours de génétique n’est proposé aux éleveurs canins alors que tout le monde parle de sélection ... Dans de nombreuses races de chiens, les effectifs de reproducteurs sont faibles voire très faibles et correspondent à des populations en danger d’extinction, rongée par la consanguinité.

Pourtant il existe aujourd’hui des programmes informatiques de gestion génétique très puissants capables de gérer des petites populations et de proposer des accouplements raisonnés afin de limiter l’impact désastreux de la consanguinité. Encore faudrait-il que les éleveurs acceptent de coopérer entre eux ce qui semble malheureusement utopique à ce jour.

Ce type de programme est par exemple utilisé pour la race bovine Vosgienne ou la race Bretonne Pie Noir (voir le plan de sauvegarde https://bretonnepienoir.com/la-vache-bretonne-pie-noir/plan-de-sauvegarde/). Le monde canin les ignore superbement. Et quand on voit des livres généalogiques qui sont fermés, il y a de quoi se taper la tête contre les murs. Il n’y a pas pire décision que d’enfermer une population. C’est simplement la condamner à disparaître à plus ou moins long terme. Chez les chiens de race la retrempe n’est même plus une option, c’est une nécessité absolue. Il serait temps que les décideurs en prennent conscience.





Le cadran des familles en race bovine Vosgienne

Pour les éleveurs français une des principales difficultés d’accès à l’information scientifique est qu’elle est rédigée en Anglais, langue internationale de la science. Cette situation limite fortement la transmission du savoir.

Quant au niveau technique des revues consacrées au chien en France, il est au ras des pâquerettes en comparaison de ce qui se fait dans les pays étrangers. Ce n’est pas encore là que les éleveurs vont trouver des informations pertinentes et utiles.

Pire l’image donnée par les médias devient le modèle à suivre. La série Belle et Sébastien en est un exemple très démonstratif. Elle a lancé la mode des chiens Montagne des Pyrénées blancs qui perdure toujours alors que les bergers ont toujours privilégié les chiens tachés blaireau. Et cela pour une raison fonctionnelle. Le masque blaireau en limitant la réverbération leur donne une meilleure vue à longue distance et donc un avantage indiscutable en termes de protection.

Les expositions dans lesquelles les Montagne sont présentés de façon totalement artificielle (lavés, brossés, pulsés voire talqués) ont un effet dévastateur sur la rusticité. Plus personne, si ce n’est les bergers, ne sait à quoi un ressemble un vrai Montagne des Pyrénées. C’est absolument dramatique pour la conservation de nos chiens.




NAYA du Hogan des Vents, jamais brossée, jamais lavée de toute sa vie. Poil naturel. C'est sur un chien non brossé que l'on peut voir la qualité de la sélection avec la qualité et la structure de la fourrure. La fourrure du chien de protection doit le protéger efficacement des intempéries, autant du froid que du chaud, que de la pluie, du vent ou de la neige.


Nous sommes dans un modèle de pensée unique dans lequel les déviants sont immédiatement stigmatisés pour leur ouverture d’esprit. La médiocrité est au pouvoir, et pas que dans le monde du chien hélas.

PAS DE SELECTION SANS PROGRAMME DE SELECTION

Parler de sélection sans parler de programmes de sélection n’a aucun sens. Dans le milieu canin français tout le monde parle de sélection alors qu’il n’existe aucun programme de sélection. Un bémol pour le Border Collie dont la confirmation comportait des épreuves de travail mais visiblement cela est en passe de disparaître. Une véritable aberration.

Chez le bouledogue français, il y a encore quelques années, il fallait déclarer le mode de mise bas (naturelle ou césarienne) dans la déclaration de naissance. Cette question a brutalement disparu. Cette information est pourtant essentielle pour évaluer la viabilité d’une race de chiens.
La SCC fait donc la promotion de l’artificialisation des races canines alors que c’est une impasse totale.





Le bouledogue français est issu de croisements entre des terriers français et des Toy-Bulldog anglais. En l’espace d’un siècle la morphologie du bouledogue français a été totalement modifiée par les éleveurs pour aboutir à des chiens hyper typés, victimes de problèmes de santé catastrophiques et condamnés à des vies de misère. Cette photo montre un champion Bouledogue français de 1920. De nos jours il ne serait même pas autorisé à mettre un pied dans un ring d’exposition …

Il est absolument nécessaire de revenir aux fondamentaux : UN CHIEN DE TRAVAIL PASTORAL SE SELECTIONNE PAR ET DANS LE TRAVAIL, NULLE PART AILLEURS. Le travail est l’unique test qui soit valable pour les chiens de conduite et les chiens de protection.

Un chien de compagnie comme le Bouledogue français devrait être sélectionné sur sa santé et son tempérament avec une reproduction 100 % naturelle. Il est évidemment possible de sélectionner des chiens pour la compagnie.





BOUGNETTE du Hogan des Vents et son fils ISIS du Hogan des Vents exporté sur l’île de La Réunion où il a maintenant une nombreuse descendance

Pour préserver les qualités pastorales des Chien de Montagne des Pyrénées, c’est-à-dire l’essence même de ces chiens, seuls devraient être autorisés à la reproduction des mâles travaillant au troupeau et ayant fait leurs preuves. Des chiens âgés d’au moins cinq ans ou des fils de ces mâles nés d’une chienne de travail toujours active au travail à l’âge de cinq ans. Il y a un moment où il faut trancher dans le vif et ne plus vivre dans l’illusion que tout va bien dans le meilleur des mondes car c’est loin d’être le cas.

L’agriculture conventionnelle, chimique serait un terme plus approprié, sélectionne des plantes dans un environnement composé d’engrais chimiques et de pesticides. Comme le dit si bien  Claude Bourgignon « Nous ne faisons plus de culture en Europe, nous gérons de la pathologie végétale ... ».
Et bien chez les chiens un processus identique est à l’œuvre. Je ne cesse de le répéter « Nous ne sélectionnons plus des chiens en bonne santé, nous sélectionnons des chiens qui ne sont pas malades et vivant sous camisole chimique ». Plus on sélectionne des chiens qui ne sont pas malades, à travers un nombre de tests qui s’emballe, plus on en produit.

Chez le Montagne des Pyrénées, par exemple, la sélection de la fourrure ne peut se faire que sur des chiens non lavés, non brossés, et donc en poil naturel. Hors tous les chiens inscrits dans des livres généalogiques sont brossés régulièrement pour les concours afin de présenter des fourrures complètement duveteuse et immaculée. Il n’y a donc plus aucune sélection sur la qualité de la fourrure. La dégradation de la qualité de la fourrure devient inévitable avec un tel fonctionnement.






DUNE Soum du Prat d’Ourey, jamais brossée sa vie durant.


Par définition un chien de protection n’a pas à être brossé. Son poil et sa fourrure doivent s’entretenir tout seul. Imagine-t-on qu’un berger qui travaille déjà plus de 10 heures par jour, 7 jours sur 7, va se mettre à brosser ses chiens le soir ? Et bien non. Et la sélection pastorale a sélectionné des chiens autonettoyants qui ne nécessitaient aucun brossage. Il est essentiel pour des chiens de travail d’être sélectionnés dans ce contexte « rustique ».

Chez le Montagne, l’aboiement qui est d’une importance capitale pour les chiens de protection mais plus encore pour les chiens de compagnie, n’a jamais fait l’objet de la moindre sélection au cours des cent dernières années.
Les aboiements excessifs sont pourtant la première cause d’abandon des chiens Montagne des Pyrénées par les particuliers. Et ils sont tout aussi nuisibles au sein des troupeaux car trop perturbants pour les moutons comme pour les bergers.
Ne faudrait-il pas faire quelque chose ? C’est possible et j’ai éliminé avec mon programme de sélection les chiens trop aboyeurs. L’aboiement est une caractéristique génétique qu’il est tout à fait possible de sélectionner … au lieu de la subir.






L’équilibre est à rechercher dans la morphologie et la santé autant que dans le mental


Pendant 40 ans, après avoir obtenu mon doctorat, j’ai eu l’opportunité de conduire des recherches sur différents animaux de ferme. Les principes d’élevage qui s’appliquent à ces animaux peuvent également s’appliquer aux chiens.
Il serait intéressant que les éleveurs de chiens s’inspirent des recherches réalisées sur d’autres espèces. Le Dr Temple Grandin a produit une énorme quantité de connaissances sur les animaux domestiques. Je ne peux que vous conseiller son livre « Temple Grandin’s Guide to Working With Farm Animals » (2017). Il concerne les animaux de ferme et les chiens pyrénéens sont bien, eux aussi, des animaux de ferme.

Extrait du livre de Temple Grandin WORKING WITH FARM ANIMALS


A la page 35 de cet ouvrage, voici les commentaires de Temple Grandin :

« Génétique et comportements acquis

Les comportements diffèrent grandement d’une espèce à une autre. Le patrimoine génétique détermine des comportements propres à chaque espèce.

La génétique affecte également dans le cerveau, la réactivité du système émotionnel qui est le même pour toutes les espèces. Les animaux peuvent être sélectionnés sur l’intensité de leur réaction à un stimulus. Par exemple sur le niveau de détresse exprimé en cas de séparation. Les animaux ayant un haut niveau de réactivité à l’isolement seront beaucoup plus agités si on les sépare de leurs semblables. Alors que d’autres resteront calmes lorsqu’ils sont séparés de leur troupeau. La recherche démontre que de nombreuses caractéristiques du comportement ont différents niveaux d’expression selon les individus et la sélection qui leur a été appliquée.

Un autre facteur déterminant dans la construction du tempérament d’un animal est son expérience de la vie. Les premières expériences du jeune au contact de sa mère, des humains et d’autres animaux déterminent la façon dont il se comportera plus tard face aux personnes, aux animaux, aux lieux et aux objets.

Ce sont à la fois le patrimoine génétique et l’expérience acquise précocement qui déterminent les traits de caractère des individus tels que la sociabilité et leur niveau de réactivité ou de peur lorsqu’ils sont confrontés soudainement à une apparition ou un son jusqu’alors inconnus. »

En clair les expériences vécues par les chiots pendant leurs premières semaines de vie sont déterminantes dans leur comportement ultérieur. Leur mise en contact permanent avec des adultes compétents est essentielle car les chiots apprennent par imitation. Séparer les chiots des chiens adultes est une aberration.
Plus les expériences de vie sont variées et positives, plus le chiot sera capable de gérer à l’âge adulte, et avec assurance, des situations complexes.

PRINCIPES DE BASE en sélection animale selon Temple Grandin :

  1. Ne jamais sélectionner pour une simple apparence, un type de production ou un trait de comportement ;
  2. Sélectionner sur un seul critère peut provoquer l’apparition de problèmes difficiles à prévoir ;
  3. Sélectionner pour un optimum, pas un maximum

L’INDISPENSABLE RETOUR AUX FONDAMENTAUX

Sélection ? Vous avez dit sélection ?

La sélection c’est choisir, sur des critères définis et quantifiables, les meilleurs individus dans une population déterminée, à un instant donné, afin qu’ils deviennent les parents de la génération suivante.

Il est vital pour la pérennité de la population de conserver dans le choix des reproducteurs une indispensable variabilité génétique. Cette variabilité génétique est en effet garante de la capacité d’adaptation des animaux à une évolution du milieu dans lequel ils vivent.

Sélectionner est un processus qui doit conduire à produire des animaux dont l’aspect et le comportement sont hautement prévisibles. Dans ce processus, génération après génération, se fixent dans la lignée les caractéristiques fonctionnelles qui vont rendre un chien sain, fiable et opérationnel.

Pourtant dans le monde du chien, et du cheval également, l’approche scientifique de la sélection est, au mieux, très réduite, et au pire totalement inexistante. C’est une véritable particularité par rapport aux autres espèces d’animaux de rente (bovins, ovins, caprins, porcins et volailles) pour lesquelles la sélection existe depuis longtemps avec une indexation des animaux et des programmes de sélection nationaux et internationaux.

Il faut distinguer d’une part les éleveurs sélectionneurs et d’autre part les éleveurs multiplicateurs. Sélectionner demande de posséder un cheptel conséquent notamment plusieurs mâles. Il n’y a jamais trop de mâles dans un élevage car ce sont eux qui sont les porteurs les plus efficaces de la transmission et de la variabilité génétiques.
Une chienne aura au maximum deux portées dans une année alors qu’un mâle pourra engendrer de très nombreuses portées dans une durée réduite permettant d’apprécier beaucoup plus rapidement son intérêt génétique.

Un chien améliorateur c’est un chien qui donne, sur des critères précisément définis, des chiots meilleurs que la moyenne de leurs contemporains … sauf qu’à ce jour tout cela est impossible à calculer pour nos chiens, faute de données scientifiques et de réels programmes de sélection.






Les meilleurs chiots ne sont pas issus des meilleurs parents mais des meilleures combinaisons ou mariages.


Au mieux sommes nous tous des multiplicateurs avec l’objectif de reproduire des chiots identiques phénotypiquement à leurs parents, dans les limites imposées par des standards qui n’ont, eux aussi, rien de scientifiques dans leur descriptif.

Pour améliorer des critères biologiques il faudrait déjà les lister et les hiérarchiser et ces données n’existent pas.

Les chiens de travail ont été sélectionnés par les bergers sur leur fonctionnalité et leur adaptation à un milieu donné. Génération après génération la fonctionnalité a conduit à une certaine homogénéité dans l’apparence, un phénotype, en terme génétique.

Les éleveurs ont toujours travaillé sur des populations : de moutons, de chèvres, de vaches et de chiens. Ils les ont sélectionné sur des nécessités vitales créant par la même des variétés locales. Ces variétés correspondent à des génotypes, c’est-à-dire des patrimoines génétiques. Cette biodiversité est aujourd’hui largement mise à mal par le soi-disant progrès scientifique, promoteur de clones et de technologie.

En génétique, le phénotype est l’expression du génotype dans un milieu donné.

L’utilisation d’un nombre réduit de reproducteurs mâles et un recours excessif à la consanguinité réduisent la variabilité génétique et aussi les possibilités de défense de l’organisme face à l’apparition de nouvelles pathologies. D’où l’émergence de tares et de maladies favorisées par un système immunitaire déficient, incapable de s’adapter à de nouveaux virus ou de nouvelles bactéries, eux-mêmes en permanente évolution. Sans compter le recours à de nombreuses molécules chimiques, dans les antiparasitaires par exemple, qui ne cessent d’affaiblir l’organisme le rendant presque totalement dépendant de cette chimie pour assurer sa survie.

Dans l’espèce canine les taux de consanguinité ne sont calculés au mieux que sur 4 ou 5 générations alors que ce calcul devrait être réalisé sur 20 générations pour connaître le véritable taux de consanguinité d’un individu donné. La tromperie est générale et institutionnalisée. Dans le même temps le nombre de tests recherchant des anomalies génétiques dans les races canines explose démontrant de façon évidente les limites de ces modes d’élevage.

Fertilité, prolificité, qualités maternelles, croissance des chiots, mortalité chez le chiot, mortalité chez l’adulte, longévité, rusticité sont autant de critères techniques indispensables à l’élaboration d’un programme d’élevage. Sans eux il est totalement illusoire de parler de génétique. Autant sélectionner des poulains dans un troupeau de zèbres et de poney shetland.

Ces critères techniques sont également nécessaires pour suivre l’évolution d’une population animale et éviter des dérives nuisibles à son maintien, son homogénéité, et sa fonctionnalité pour ce qui concerne les chiens de travail.

En France, la confirmation est pratiquement acquise pour une très large majorité des chiens présentés. Par conséquent il n’y a plus aucune pression de sélection dans les populations canines. Tous les chiens confirmés peuvent accéder à la reproduction, les bons comme les moins bons. Sans pression de sélection il n’y aucune sélection possible.

Les chiens de protection peuvent aussi être confirmés à titre initial. Eux subissent par contre une réelle pression de sélection dans le sens où seuls les plus valeureux sortent vivants de leurs confrontations avec les loups ou les ours. Ils constituent de précieux géniteurs capables de transmettre leurs qualités à leur descendance … lorsqu’ils ne sont pas castrés.

Sélectionner les chiens uniquement sur des postures en exposition est surtout une aberration sur un plan zootechnique. Cela ne peut conduire qu’à la disparition de tous les critères fonctionnels qui définissent un chien de protection. Les quelques tests de comportement qui existent aujourd’hui pour les chiens de protection sont très insuffisants et de toutes façons difficilement applicables à une vaste population pour juger de leur mental et de leurs aptitudes. Lorsque les chiens travaillent en meute, ces tests qui sont individuels, sont encore moins pertinents. Et c’est sans compter leur coût exorbitant (500 € par chien testé dans le plan loup).

La sélection sur la posture conduit à faire émerger et concentrer les problèmes génétiques alors que la sélection sur la fonctionnalité les écarte.

Un programme de sélection c’est un ensemble de critères, précisément définis, permettant de quantifier de façon synthétique chaque individu d’une population pour les comparer les uns aux autres. Pour être efficace la sélection doit être une œuvre collective, loin des querelles de clochers, incluant le plus grand nombre de chiens possible. Pour les chiens de protection, ils doivent être jugés dans leur milieu de travail.

A défaut de programme national il faut bien commencer un jour, et c’est ce que j’ai fait dans mon élevage. Vous pouvez vous en inspirer pour déjà évaluer chez vous vos chiens, les uns par rapport aux autres. Voir mon article de 2019 « Programme de sélection du Montagne des Pyrénées à l’élevage du Hogan des Vents ». (2)

Pour chaque critère évalué sur mes chiens, la notation est donnée sur une échelle de 1 à 3 – exception faite de la note de travail – de façon à obtenir au final une note de synthèse pour chaque chien incluant les caractéristiques favorables pour le travail et la capacité à se reproduire.

Le but ultime de cette démarche est de favoriser, pour produire une nouvelle génération, les accouplements entre chiens notés globalement « BON », d’autoriser les accouplements entre chiens notés « BON » et « MOYEN » et d’éviter dans la mesure du possible les accouplements entre chiens notés « MOYEN » et « MOYEN ».

Les accouplements « MOYEN » avec « INSUFFISANT » et « INSUFFISANT » avec « INSUFFISANT » devraient être totalement proscrits.

C’est ce qu’on appelle en génétique des accouplements raisonnés. Mais la génétique c’est surtout une histoire de probabilité.

Les chances d’obtenir de bons sujets sont bien plus grandes lorsque les parents sont déjà eux-mêmes de bons sujets … Pour autant deux parents moyens peuvent aussi produire de bons sujets mais les chances que cela se produise sont faibles. A l’inverse de très bons sujets peuvent aussi donner naissances à des chiots moyens ou médiocres. Néanmoins la probabilité que cela se produise reste aussi faible.

En génétique rien n’est jamais acquis. L’Art de l’éleveur est un facteur non négligeable dans la mise au monde de chiots de qualité pastorale. Et là c’est l’intuition de l’éleveur qui entre en jeu en parallèle de la démarche scientifique. Les deux approches sont complémentaires et souhaitables.

Partant du principe qu’un chien qui travaille correctement et se reproduit sans difficulté est en bonne santé, il n’est pas nécessaire de rentrer dans la spirale infernale des pathologies à la mode et des tests qui les accompagnent. Là encore le bon sens paysan prévaut.

Ainsi un chien ou une chienne qui ne remplit pas son rôle de protecteur de troupeau, que ce soit pour des raisons physiques (par exemple dysplasie) ou comportementales (par exemple agressivité excessive) devra être systématiquement écarté(e) de la reproduction.

De la même façon une chienne qui présente des problèmes de reproduction ou qui n’est pas capable d’élever ses chiots lors de ses deux première mise bas devra être écartée de la reproduction afin qu’elle ne transmette pas ses défauts à la génération suivante.

MONTAGNE DES PYRENEES : A LA RECHERCHE D’UNE NOUVELLE GENETIQUE

La situation de nombreuses races de chiens gérées dans des livres généalogiques est catastrophique en raison d’un appauvrissement génétique lié à l’utilisation excessive de certains reproducteurs et au sacro-saint mythe de la race pure.

De fait la diversité génétique ne cesse de se réduire génération après génération, en parallèle d’une augmentation des taux de consanguinité camouflés par des calculs erronés.

Les chiens de races rustiques comme le Montagne des Pyrénées n’échappent pas à ce phénomène. A court et moyen termes il apparaît indispensable d’augmenter le pool génétique en l’ouvrant à des apports extérieurs. Il est donc nécessaire d’introduire dans les accouplements de nouveaux individus non apparentés aux chiens LOF actuels. La grande majorité des chiens LOF provient du noyau des chiens survivants à la fin de la deuxième guerre mondiale. Et ce noyau était déjà fortement réduit.

Concernant le Montagne des Pyrénées le retour du loup en France, il y a 28 ans, a favorisé sa réapparition au travail, particulièrement dans les Alpes. J’estime que 6000 chiens de type Montagne des Pyrénées travaillent maintenant en France et leur utilisation progresse avec l’extension du loup. Si l’on considère que la moitié sont des femelles (3000) et que la moitié d’entre elles (1500) reproduisent une fois par en donnant naissance à 4 chiots (1500 x 4 = 6000 chiots) avec un taux de survie de 50 % c’est tout de même 3000 chiots produits chaque année.

Un immense réservoir génétique dont les éleveurs français de Montagne ne veulent pas entendre parler sous prétexte que ces chiens n’ont pas de papiers ni de radio des hanches et des coudes.






Trois chiennes du Hogan des Vents au travail


Aurions-nous oublié que les fondateurs du club de race, la RACP, ont commencé par parcourir le massif des Pyrénées à la recherche de chiens typiques et forcément sans papiers et sans radio des hanches ?

Contrairement à ce qui se passe avec les chiens de conduite, pour les chiens de protection le lien entre la cynophilie et les bergers est totalement rompu. A juste titre, ils ne veulent pas entendre parler de chiens à papiers, synonymes pour eux de chiens dégénérés. Et ils ne sont pas si loin de la réalité. Il est pourtant cohérent et souhaitable de gérer les populations de chiens dans toutes leurs composantes qu’ils soient chiens de travail ou chiens de compagnie.

Les critères sur lesquels je sélectionne mes chiens de protection sont : le gabarit, la qualité de la fourrure, la dentition, le contrôle de l’aboiement, la prolificité [le nombre de chiots nés par portée. Important car la reproduction est la première fonction touchée lorsqu’une race dégénère], les qualités maternelles évaluées à travers le taux de survie des chiots [pas de lampes chauffantes dans la bergerie ni de biberons] et la capacité des chiennes à mettre bas naturellement et à nourrir leur portée.

J’utilise un autre critère, indispensable mais plus délicat à quantifier, qui est l’efficacité au travail. Ce dernier critère est évalué directement et qualitativement par le berger utilisateur sur ses propres chiens. Cette évaluation se fait sur des chiens de plus de deux ans, c’est-à-dire considérés comme opérationnels dans le travail, à condition qu’ils aient été éduqués avec des chiens adultes. Sans la présence de chiens adultes, l’apprentissage est plus long et l’évaluation ne peut pas se faire avant l’âge de trois ans.

Les programmes de sélection concernant les chiens de travail doivent être basés sur des données mesurables tant sur le plan de la morphologie, que sur des critères liés à la reproduction et au comportement.

La fonctionnalité d’un chien de protection doit être impérativement évaluée dans son milieu de travail au sein de son troupeau et avec son berger.


NOUR du Hogan des Vents (2018) aux USA à Jim De Sana
Les chiens de protection du Hogan des Vents ne font l'objet d'aucun test de santé à la mode. Le TRAVAIL est le seul TEST que je reconnais comme valable concernant mes chiens de protection. Un chien qui assume parfaitement son rôle de protecteur et qui se reproduit de façon naturelle est forcément en bonne santé. Il y a une très grande différence entre tester pour des maladies et avoir un chien en bonne santé. Comme je le répète depuis longtemps sélectionner <<des chiens qui ne sont pas malades>> et sélectionner <<des chiens en bonne santé>> sont deux approches totalement différentes. La santé est une globalité qui ne peut se sélectionner que de façon globale.


Dans un but d’amélioration génétique il est important que les chiens de protection soient confrontés les uns aux autres afin de distinguer les meilleurs types et de favoriser leur reproduction.

Il s’agit là d’un autre type d’évaluation, réalisée dans un lieu de regroupement hors des troupeaux. Cette évaluation basée sur des critères physiques devra absolument intégrer l’évaluation de la fonctionnalité réalisée antérieurement. Le but est d’obtenir une note de synthèse pour chaque chien permettant de les classer les uns par rapport aux autres, par sexe et classes d’âge, afin de favoriser des accouplements complémentaires et d’augmenter la diversité génétique.
Néanmoins il ne faut jamais oublier qu’un chien de protection séparé de son troupeau vit un énorme stress même si celui-ci n’est pas forcément apparent.

Un schéma d’amélioration génétique adapté au travail n’est en rien incompatible avec le fait que des chiots partent à la compagnie. Des chiens sains et équilibrés peuvent protéger des troupeaux ou être d’excellents compagnons de famille si leurs besoins vitaux sont respectés. Depuis de nombreuses années je l’ai largement démontré dans toutes mes portées.

Je propose qu’un groupe, composé d’éleveurs et de juges, parcoure les Alpes à la rencontre des bergers pour repérer des sujets typés. Pourquoi les Alpes et pas les Pyrénées ? Et bien en raison de la densité de chiens de protection qui est de nos jours bien plus importante dans le massif alpin.
L’objectif serait de rechercher des mâles Montagne des Pyrénées de cinq ans et plus, ayant été confrontés au loup et ayant fait leur preuve en tant que chiens de protection.

L’étape suivante serait d’organiser une banque de sperme à partir de prélèvements réalisés sur ces chiens et de la rendre accessible aux éleveurs de Montagne afin d’augmenter la variabilité génétique dans le cheptel reproducteur. La répartition des doses de semences devrait être gérée au niveau national, avec des éleveurs volontaires, et en utilisant le maximum de chiens différents.

A l’idéal il faudrait pouvoir évaluer la génération suivante de façon à donner une valeur génétique aux chiens d’origine. Voir mes articles de 2016 intitulé « Pour une véritable sélection du Montagne des Pyrénées » et de 2011 intitulé « Evaluation du potentiel de travail de chiots Montagne des Pyrénées destinés à la protection des troupeaux ». (2)

EN CONCLUSION 

Notre avenir et celui de nos compagnons à quatre pattes est-il condamné ? Certainement si rien ne change. Il s’agit d’enclencher un véritable changement de paradigme et mettre en place un travail collectif des éleveurs pour valoriser et préserver nos chiens dits de race.

La retrempe est une absolue nécessité mais elle doit être raisonnée, testée et encadrée. Les clubs de race devraient tous avoir un Conseil scientifique garant de la rigueur de la démarche de la sélection. Pour autant Science sans conscience n’est que ruine de l’âme (Rabelais). Et cet adage est plus que jamais d’actualité.



Ce schéma démontre sans la moindre ambiguïté que la diversité génétique, mesurée à travers le pourcentage d’hétérozygotie d’une population, est bien plus élevé chez les chiens croisés que chez les chiens dits de « pure race ». C’est l’hétérozygotie qui donne à une population déterminée la capacité de s’adapter à des changements du milieu et donc de meilleures chances de survie.


Il nous faut retrouver des expositions qui aient du sens. L’exposition n’est qu’un outil qui peut être utilisé pour le meilleur comme pour le pire. Et si nous tablions sur le Meilleur ?

« Il y a un courage moral qui consiste à dire la vérité - même si elle risque de déplaire -, à rester seul, incompris, calomnié quand on croit à quelque chose. »

Edgar Morin


(1) Je suis titulaire d’un diplôme d’ingénieur en Agriculture (1983) de l’Ecole Supérieure d’Agriculture de Purpan Toulouse, d’un DEA (1984) et d’un Doctorat (1988) en Sciences Animales de l’Université des Sciences et Techniques du Languedoc à Montpellier. J’ai dirigé plusieurs programmes de recherche en France et au Canada. Et depuis 20 ans je suis Paysan.

(2) Tous mes articles sont consultables dans la rubrique MES PUBLICATIONS

(3) Ouvrage « Guide to working with farm animals » Temple Grandin

(4) Ouvrage « Lhassa Apso du Tibet, de 1897 à nos jours » Yolande de Zarobe

© Mathieu Mauriès 2020


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